Cet article vous est proposé par Bénédicte Lambillon, institutrice primaire et spécialiste en sciences et techniques du jeu

 

1. Place du jeu dans les apprentissages

De nombreux travaux de recherche éclairent la place spécifique et le rôle original du jeu dans le processus d’apprentissage.  Le passage par le jeu, avec ses règles et ses propres contraintes, facilite l’action pédagogique.

L’activité ludique à l’école implique le recours à des jeux soit spécifiquement développés pour l’apprentissage, soit  sélectionnés et/ou adaptés par l’enseignant en fonction de ses  objectifs pédagogiques.

Henry Jenkins souligne un apport non négligeable des jeux : ils permettent à l’enseignant attentif d’analyser la stratégie de ses élèves, voire de proposer une évaluation par le jeu lui-même.

Le jeu met en œuvre 5 fonctions : sensori-motrice, intellectuelle, symbolique, créatrice et de socialisation.  Revenons sur chacune d’elles :

  • Sensori-motrice : toucher, palper, bouger.
  • Intellectuelle : relever un défi, découvrir, expérimenter.
  • Symbolique : faire comme si.
  • Créatrice : lire, écrire, dessiner, exprimer à sa manière.
  • De socialisation : coopérer, respecter les règles du jeu, échanger, communiquer.

Selon mes observations, la pratique du jeu engendre les facteurs d’apprentissage, de réalisation de soi et de sociabilité dans la mesure où il est utilisé dans une vision de progrès qui considère que le jeu construit.  Pour Roger Caillois[1], le jeu est un principe permanent de la vie sociale.  Jouer servirait à représenter le monde, voire à l’expliquer collectivement.  Jouer amène à se sociabiliser en construisant son identité culturelle au travers d’une activité partagée.

 

 2. Le jeu, outil pédagogique

Beaucoup d’auteurs, ayant écrit sur le jeu, se sont accordés pour définir le jeu comme espace possédant sa propre dimension et indépendant de toute production.  En d’autres termes, le jeu est une activité qui possède une fin en soi.  Cependant, le jeu implique toute une production immatérielle inhérente au jeu telle, notamment, les cinq fonctions présentées ci-dessus.

Guy Alain (2002) nous dit : « L’acte de jouer, comme l’activité de promenade, sont aujourd’hui des actions liées à la pure perte lorsque la société contemporaine recherche la gestion, la rentabilité, l’utilité. »[2]

La valeur éducative et pédagogique d’un jeu n’est pas dans son aboutissement mais dans son processus et dans son utilisation.

En effet, le jeu est un véritable outil pédagogique car il touche ou peut toucher :

  • au développement social (se décentrer progressivement pour tenir compte du point de vue de l’autre),
  • au développement affectif (affirmer sa personnalité),
  • au développement psychomoteur (besoin de mouvements, découvrir et exercer des attitudes et des gestes),
  • au développement moral (nécessité des règles de vie et du respect vis-à-vis des autres)
  • au développement cognitif (s’exprimer, communiquer, acquérir de l’attention, de la concentration, de la rapidité, de la précision, de la réflexion, de la logique, du langage).

 

3. Mode d’utilisation des jeux

L’utilisation des jeux à l’école peut être multiple.

Ils peuvent être proposés en ateliers ou lors d’activités individuelles, être utilisés à des fins récréatives ou comme activité d’attente pour les élèves qui ont terminé leur travail avant d’autres.

Par ateliers, cela peut avoir lieu sous la forme de différents ateliers proposant différents jeux se rapportant à la même matière ou non, ou sous la forme de différents ateliers proposant le même jeu, ce qui permet de comparer ou de différencier les niveaux de difficulté.  Lorsque les jeux sont proposés comme activité individuelle, les enfants doivent déjà avoir eu les explications de manière à pouvoir être autonomes dans l’utilisation.  Ces explications portent aussi bien sur le fonctionnement du jeu et de ses subtilités, que sur les concepts pédagogiques mis en œuvre.

Tant de manières qui peuvent s’articuler autour des mêmes jeux, dans une même classe, à différents moments.

Pour finir, je trouve intéressant de citer deux auteurs qui m’ont interpellée.  Tout d’abord, Dominique Boussand-Rio qui nous dit que « le jeu ne s’oppose pas au travail mais à la réalité » et, plus loin, que « s’il joue, l’enfant fait bien ‘travailler’ sa tête ce qui l’aidera dans son ‘métier d’élève’ ».[3]

Ensuite, Patrice Huerre qui nous dit que « penser que travail et jeu s’opposent est dangereux. […] Les meilleurs apprentissages se font dans le plaisir de découvrir, de manipuler des idées et des objets nouveaux. ».  Plus loin dans son ouvrage « Place au jeu », il nous partage une de ses convictions : jouer, ce n’est pas tendre vers un but précis, mais s’ouvrir à l’inattendu.[4]

 

4. Rôles de l’enseignant

Pour que le jeu remplisse son rôle éducatif, il convient que l’enseignant « joue son rôle ».  Lors du jeu, l’enseignant entre dans le rôle du metteur en scène.  Qu’il soit le créateur ou non du jeu, l’enseignant conserve une place déterminante car il doit y avoir un avant-jeu et un après-jeu parce que, dans une visée pédagogique, le jeu n’est pas une fin en soi.  En effet, un point essentiel relevé par Jouneau-Sion est la nécessité de faire une pause dans le jeu pour que les élèves analysent ce qu’ils ont fait.  En pédagogie, c’est ce que l’on nommera une pause métacognitive.  Le rôle de l’enseignant est dès lors primordial même s’il diffère de celui qu’il a dans une classe plus classique ou lors d’activités plus conventionnelles.

Lors d’activités ludiques en classe, l’enseignant observe des éléments qui pourront être utilisés dans l’après-jeu mais ne doit pas intervenir même s’il perçoit comment les élèves devraient s’y prendre pour être plus efficaces.  Il doit rester très discret durant le temps du jeu.  L’enseignant joue tour à tour le rôle de facilitateur, en donnant des indices au besoin, de professeur, en enseignant les concepts nécessaires, de collègue, voire d’adversaire s’il se met à jouer avec, ou contre, ses élèves, et de régulateur, en gardant toujours une certaine maitrise sur les événements qui ont lieu.  Il a donc un rôle pivot.

Ces rôles, pouvant être pris par l’enseignant lors de séances de jeux en classe, peuvent facilement trouver leur parallèle dans les différents rôles qui peuvent être pris par le maitre du jeu dans une séance de jeu quelconque.  En effet, dans le cadre du cours de typologie des interactions sociales dans les jeux[5], nous avons vu qu’il y avait différents degrés d’accompagnement du metteur en jeu.  Il peut avoir une attitude de « laisser jouer » en induisant le jeu libre, ou « donner à jouer » de manière à suggérer l’un ou l’autre jeu et/ou action dans le jeu, ou « faire jouer » en animant le jeu, ou encore opter pour « jouer avec » c’est-à-dire dans une dynamique de partage.

Par ailleurs, la pratique du jeu en classe nécessite un travail de préparation rigoureux.  En effet, la pédagogie du jeu impose à celui qui l’organise des principes spécifiques.[6]

L’enseignant doit sélectionner judicieusement les jeux en fonction de ses objectifs pédagogiques, des pré-requis et des spécificités éventuelles des élèves. Il doit réfléchir à l’aménagement de l’espace, s’approprier les règles et définir quelles seront ou non ses interventions.

 

5. Limites à l’utilisation du jeu

À l’école, comme ailleurs, l’adulte pense souvent que le jeu est un passe temps, voire une perte de temps.  Or, pour Jean Gondonneau (2006), le jeu est un besoin vital pour le développement affectif, psychologique et intellectuel de l’individu car il permet de développer l’intelligence en obligeant à réfléchir, en poussant à la logique, à la déduction, mais aussi au choix et à la décision.

Le jeu implique d’apprendre des règles et de les respecter.  Ce qui engendre une dimension sociale liée au jeu.  Gondonneau (2006) ajoute : « De plus, jouer favorise les rencontres et la découverte de soi et permet dès lors de combattre l’isolement, l’exclusion, le désœuvrement et la délinquance. »

Cependant, même si le jeu semble conseillé en éducation, quel que soit l’âge des enfants, il ne doit en aucun cas être le seul outil des enseignants.  Le jeu vient compléter, enrichir, nuancer et parfois même étayer les outils habituels utilisés pour l’apprentissage.  En effet, le jeu ne doit pas remplacer les disciplines scolaires traditionnelles et il n’est pas envisageable   de placer le jeu au cœur de tous les apprentissages.  D’ailleurs, Jean-Pierre Sautot (2006) nous dit que « sans verser non plus dans un dogmatisme inverse où serait mise en exergue une pratique pure, voire mystique du jeu, il est possible de développer dans le cadre scolaire une pratique ludique, saine et équilibrée, qui suppose que soient prises quelques précautions. »[7]

Par ailleurs, lors d’une formation sur les jeux de langage et les difficultés d’apprentissage, Laura Van Laethem a reprécisé le jeu comme étant « un outil intéressant pour appréhender le domaine scolaire jugé parfois trop sérieux et rébarbatif et d’autant plus utile dans le cas de difficultés d’apprentissage car le jeu est avant tout un matériel concret, manipulable et adaptable, qui permet bon nombre d’utilisations variées. »[8]

Cependant, le jeu ne se suffit pas à lui-même pour apprendre et/ou palier à des difficultés d’apprentissage.  Il doit être accompagné par des professionnels de l’enseignement mais il est, de manière très claire, un outil riche.  Il peut d’ailleurs être utilisé par des professionnels en cas de trouble.[9]

Pour finir, le jeu ne peut pas être le seul moyen envisagé pour un apprentissage mais surtout, il ne faut pas s’imaginer que le transfert des compétences se fait automatiquement et instantanément.  Il faut une pratique régulière afin de favoriser la répétition de mécanismes et d’appropriation de règles mais il faut surtout induire la verbalisation et la métacognition des joueurs afin d’identifier les acquis et les points en évolution.

 

 

 

[1] Caillois Roger.  (1958).  Des jeux et des hommes.  Gallimard.

[2] Guy Alain.  (2002).  Jouer est un acte gratuit.  L’école des parents.

[3] BOUSSAND-RIO Dominique, Animer un atelier d’accompagnement scolaire par le jeu, Chronique Sociale, janvier 2014.

[4] HUERRE Patrice, Place au jeu, Nathan, 2007.

[5] VAN LANGENDONKT Michel, Interactions sociales et théorie des jeux : typologie des interactions sociales dans les jeux.  Cours donné dans le cadre de l’année de spécialisation en sciences et techniques du jeu au cours de sa première édition, en  2013-2014.

[6] DRUART Delphine et WAUTERS Augusta, Laisse-moi jouer…J’apprends !, Outils pour enseigner, De Boeck, 2011. Page 154.

[7] Sautot, J.-P. (coordinateur).  (2006).  Jouer à l’école : socialisation, culture, apprentissage.  Collection projets pour l’école, CRDP de l’académie de Grenoble.  Page 57.

[8] VAN LAETHEM, L., Atelier pédagogique – Expo jeux de langage 2014, fascicule de notes reçu lors de la formation « Jeux de langage et difficultés d’apprentissage chez l’enfant de 5 à 10 ans » à la Maison de la Francité, 13/05/2014.

[9] Il ne faut pas confondre difficultés et troubles d’apprentissage.

Une difficulté d’apprentissage est une évolution trop lente, un ralentissement associé à une modification du comportement qui peut être résolue avec des séances de remédiation.

Un trouble est lorsque la difficulté persiste malgré la remédiation.  Une rééducation par des professionnels (logopèdes, neuropsychiatres, …) est alors nécessaire.