salon éducation 2014Retrouvez LUDO asbl cette semaine au salon de l’éducation à Charleroi ( www.saloneducation.be )

 « Jouer en famille mais aussi en classe. Comment et pourquoi ? ». Conférence le mercredi 15 octobre de 16h45 à 17h15 au forum Nord(Michel Van Langendonckt, président de LUDO asbl et responsable du diplôme en sciences et techniques du jeu HEB-HE Spaak)

 Retrouvez les infos concernant LUDO asbl durant tout le salon sur le stand 2-423 (collaboration avec Coala asbl)

 

Réapprendre à jouer

(Texte écrit pour le « Journal de l’éducation » téléchargeable sur www.saloneducation.be

 Deux types de jeux complémentaires…

 Tous les (socio)psychologues du développement humain tels Piaget ou Vygotski insistent sur les rôles éducatifs de deux sortes de jeux, aussi primordiaux que complémentaires. Les apports de délassement actif, d’autonomie et de créativité apparaissent prépondérants dans les jeux libres (jouets d’exercices, symboliques et d’assemblages) que l’on abandonne beaucoup trop tôt, du moins en Occident. Ludivine, la muse de la création ludique, se penche sur tous les berceaux avant de s’endormir trop vite tout au fond de nous.

 Les jeux à règles prennent alors un relais tout aussi fondamental de socialisation. Passant des jeux informels spontanés aux jeux à règles, la liberté fait place à la culture, l’individu à la société. Hélas, non seulement notre société industrielle sacrifie de plus en plus les premiers, mais elle consacre de moins en moins de temps à l’accompagnement des seconds pourtant essentiel.

 Utilité des jeux à règles de la maison à la classe

 Ces jeux nous apprennent pourtant non seulement à respecter des règles mais, lors d’un intéressant prélude (le « on disait que » des enfants), également à les construire ensemble. Contrairement aux idées reçues, en soi, le jeu est amoral (ni moral ni immoral) ; par contre chaque jeu réglé présente bien une forme d’enculturation chargée de valeurs,  mais il nous donne surtout l’occasion d’exercer notre sens moral avant de nous mettre en projet face à un défi à relever. Le jeu est plus re-création que récréation.

 Face à l’hétérogénéité culturelle et sociale de nos classes, ces outils de socialisation, de citoyenneté, de gestion et de cohésion de groupe forment un précieux laboratoire du vivre ensemble. Ils apparaissent globalement d’autant plus efficaces que l’on veille à diversifier les structures relationnelles des règles proposées : compétitives mais également non-compétitives (associatives, collaboratives, coopératives). Par ailleurs, passer de « dieu » créateur de ses jeux à acteur d’un jeu de société ou citoyen responsable est tout sauf spontané chez l’enfant; toutes ces mises en jeux relèvent d’apprentissages complexes qui nécessitent un accompagnement adéquat par les parents, les enseignants, les éducateurs quels qu’ils soient.   Un peu plus tard, pour les (pré)-adolescents, en famille comme à l’école, se confronter aux normes et buter contre la règle est une expérience essentielle. Terrains d’affrontements symboliques, les jeux sont autant d’excellents exutoires qui permettent d’éviter bien des oppositions frontales.

 Un contexte favorable

 Le chantier de réforme de l’enseignement obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles apporte à priori un contexte institutionnel favorable au développement des pratiques ludiques en classe.

Outil d'(auto)évaluation formative ou diagnostique dans un contexte apaisant, le jeu est par excellence cette aire transitionnelle dont parle Winnicott qui donne notamment droit à l’erreur, incite à expérimenter, à oser prendre des risques. Elle permet de se confronter aux autres et à soi-même dans l’échec comme dans la victoire de manière indolore. Felix fauta ; ici encore, plus que parenthèse d’existence, les jeux sont école de vie.

 Enfin et surtout, proposant des situations concrètes et actives, les jeux constituent des supports de remédiation d’autant plus efficaces face aux difficultés d’apprentissages qu’ils génèrent une motivation intrinsèque. Ils permettent tant d’acquérir des savoirs que d’exercer des compétences (notamment mais pas seulement transversales) sans donner l’impression de consentir un effort. Un point essentiel afin de restaurer l’attention si pas l’appétit scolaire de nombreux enfants et adolescents désabusés (si pas déjà busés).

 Il ne faut donc plus hésiter à se lancer plus souvent dans l’utilisation des jeux en classe. Moyennant de menues adaptations, de nombreux jeux d’édition sont à notre disposition pour aborder efficacement les programmes de Français, de langues étrangères, de mathématiques, d’éveil géographique, historique, scientifique,…


Difficultés et confusions

 Une panacée universelle ? Non. La personne qui inventera le maïzena de l’enseignement, le fait que la sauce prend à tous les coups, sera prix Nobel. La pédagogie du jeu est une méthodologie à associer ou à alterner avec d’autres (différenciée, de projet, institutionnelle, …) et conseillée avant tout aux enseignants, parents, éducateurs aimant jouer. Si on n’est pas passionné, on n’est pas passionnant. Il s’agit d’une culture, une éducation à partager; en jeux comme en amour, les autodidactes sont rares.

Si vous aimez les jeux, ne passez pas à côté de ces merveilleux outils d’apprentissage car ils restent largement sous-exploités par l’ensemble des tenants de l’éducation formelle. Pourquoi ? Citons tout d’abord l’attachement au « prix de l’effort » et la méconnaissance de la notion de plaisir; une opposition manichéenne travail/loisir; l’image de liberté, de gratuité « sans conséquences » du jeu  qui, à l’école, deviendrait « détournement pédagogique sous contrainte ».

 Ces confusions reposent sur de vieux malentendus. Simple distraction, sociabilité, apprentissage, fierté, réalisation virtuelle, vertige, puissance, extase, thérapie du détour, résilience, défoulement cathartique,…, la nature du plaisir ressenti peut être diverse et plurielle. Perte, peur, refoulement, stigmatisation, échec, impuissance, …, les émotions et expériences négatives n’en sont  pas moins présentes, sublimées et/ou dédramatisées dans un contexte ludique.  On l’aura compris, même s’il porte sa fin en lui-même (notion de gratuité), contrairement à ce que de nombreux auteurs ont pu suggérer (y compris Huizinga), le jeu n’est jamais sans conséquence, fût-ce du point de vue de l’être, de la construction et de l’éducation de l’individu, de ses visions du monde. Par ailleurs un jeu n’est jamais totalement « libre » dans la mesure où tout lieu et tout objet de jeu est chargé et connoté culturellement, sans même parler d’accompagnement ou de « mise en jeu », le contexte de jeu n’est jamais innocent. Mais, surtout, n’en déplaise aux chercheurs en sciences de l’éducation enfermés dans leurs tours d’ivoire, fût-il (vs futile) proposé en classe, un jeu n’est jamais contraint car l’expérience montre que chacun le refuse ou s’y embarque sans retenue : parc, cour de récréation, chambre d’enfant ou classe, seule subsiste alors la réalité seconde du jeu.

D’autres obstacles au développement du jeu en classe 

1° Un effet d’inertie général dans l’application du décret-missions : pouvoirs organisateurs, directions d’écoles, parents et plus encore enseignants affichent un manque d’adhésion face à l’ambitieux chantier de réforme de notre enseignement demandant paradoxalement plus à la profession dans un contexte de restriction budgétaire. Afin de produire des effets positifs, toute pédagogie active (et notamment la pédagogie du jeu) et/ ou différenciée nécessite au contraire plus de temps et/ou de moyens que les méthodes expositives traditionnelles. Notons à cet égard que la plupart des enseignants proposant une pédagogie ludique apportent ou garde en classe leurs jeux personnels. Les ludothèques d’écoles restent l’exception.

2° Les réticences à l’égard du jeu en classe s’expliquent plus encore par un déficit important d’information et plus encore de formation des parents, des enseignants et des autres professionnels de l’éducation (ludothécaires compris !) en matière de pédagogie du jeu.

3° Le caractère peu quantifiable d’une pédagogie ludique en termes d’efficacité apparaît particulièrement pénalisant dans la culture ambiante de l’audit, du chiffre et de l’évaluation.

4° Enfin, la difficulté d’utilisation pédagogique de jeux en classe est réelle. La démarche ne s’improvise pas. Il ne suffit pas de décréter son utilité, il faut la nuancer, l’accompagner afin d’en circonscrire les pratiques favorables et d’en prévenir les abus. De plus, la question du jeu en classe divise jusqu’aux milieux scientifiques. Dans le secteur de l’éducation en mutation, les identités professionnelles en devenir (enseignants, orthopédagogues, éducateurs, animateurs, ludothécaires, école des parents…) paraissent interférer sur ce débat par un positionnement défensif plutôt que de travailler en relais complémentaires de constellations éducatives salvatrices pour l’enfant (Cyrulnik, 2007).  En l’absence d’une théorie générale du jeu, un approfondissement de la recherche en la matière s’avère plus que jamais nécessaire.

En guise de conclusion

Heureusement, des ressources, des sites, des formations et même un diplôme spécifique existent désormais pour nous aider dans notre démarche ludopédagogique. Vieux moutard que jamais !

L’actuelle « gamification » consistant à « appliquer les caractéristiques et parfois les règles des jeux de société – de plateau et d’ordinateur-  à des situations concrètes » est un phénomène sociétal de plus en plus apparent. La « gamification » semble nous dire qu’il faut vivre pour jouer, alors qu’il faut au contraire jouer pour vivre. L’un des défis majeurs de l’éducation aujourd’hui est de réapprendre à jouer. Non pour jouer plus, mais pour jouer mieux. Rendez-vous en ligne et/ou au salon de l’éducation pour plus de développements et quelques exemples concrets de jeux efficaces dans un cadre scolaire (www.saloneducation.be et www.ludobel.be)

Michel Van Langendonckt
Président de LUDO asbl (www.ludobel.be);
Responsable et coordinateur pédagogique du diplôme
de spécialisation en « sciences et techniques du jeu »
Haute Ecole de Bruxelles – Haute Ecole P.H. Spaak