Par OVNI, professionnel du jeu, coordinateur de l’asbl Ludo
Le Piment est une asbl de Molenbeek qui organise des formations en français langue étrangère (FLE). L’outil de base de ses formations est le jeu, qu’elle utilise pour développer les compétences et notamment en logique et en mathématique.
Cette année, elle a organisé la dixième édition du festival du jeu de maths et de logique, qui propose aux différents organismes de l’alphabétisation et du FLE ainsi qu’à leurs usagers de visiter les locaux du Piment, d’observer leurs méthodes et de partager un moment de jeu autour d’un verre. J’ai eu l’honneur de participer, sous l’égide de Let’s Play Together, à cette dernière partie en tant qu’animateur. Voici ce que j’ai vécu.
Ce festival est une magnifique aventure humaine ! J’avais prévu des jeux très différents mais qui avaient tous cette particularité de s’expliquer rapidement. La difficulté à pratiquer la langue ne devait pas être un frein.
Afin de créer un accueil simple et motivant, je propose d’emblée un crayon coopératif qui a l’avantage de cacher les moins affirmés dans le groupe et de proposer un but clairement identifiable.
C’est assez impressionnant la façon dont les personnes qui semblaient les plus timides se mettent à crier et à rire franchement !
Les joueurs se sentaient de fait beaucoup plus à l’aise pour aller découvrir les autres jeux, plus tape à l’œil les uns que les autres. C’est ainsi que le palme revient au Bamboleo, placé idéalement au centre de la pièce. Ses couleurs vives et son coté attrayant (l’appel du défi) en ont fait la coqueluche de l’animation ! Le bruit des pièces qui tombent désinhibe les derniers introvertis qui finissent par jouer au Carom, le célèbre billard d’Inde. Nous avons même eu la chance d’accueillir deux indiens qui nous ont présenté les rudiments du jeu. La fierté était rayonnante dans leurs yeux, d’autant plus que la qualité de leur jeu était époustouflante. Ils nous ont même appris que ce modèle était en fait une version plus petite pour apprendre aux enfants…
Encore quelques parties de Jeu du roi, le fameux flipper à toupie, d’Elasticum ou de Dobble et il est déjà le temps de clôturer la séance.
Pour finir en beauté, je propose à quelques dames qui se désaltèrent d’inventer une histoire à l’aide de speech. Et là, c’est une magnifique scène d’imagination et de rigolade improvisée, chacun apportant un élément de sa culture dans une vraie leçon de vivre ensemble.
3 questions à Sylvain Bertrand, coordinateur de l’ASBL.
Comment l’idée du jeu vous est-elle venue ?
Lors de l’exposition interactive organisée par la maison de la francité, loin des règles scolaires, ces jeux permettent un entraînement linguistique par le plaisir : bases de la lecture et de l’écriture, exercices d’appellation, maîtrise de l’orthographe, enrichissement du vocabulaire, structuration du récit, etc. C’est aussi, pour les plus grands, une occasion amusante de faire le point sur leur compétence linguistique ou sur leur culture générale.
Le Piment a visité l’exposition à de nombreuses reprises et c’est à partir de là qu’est née l’idée de faire de même avec des jeux où, à contrario, la maîtrise de la langue française n’est pas indispensable.
Dans quelle mesure le jeu est un outil pertinent dans votre activité ?
Dans le cadre de l’expo « Jeux de langage » si un formateur joue avec ses apprenants, les dés sont pipés dès le départ l’apprenant sait qu’il n’a que peu voire pas de chance de gagner et le formateur ne peut jouer pleinement, il fait semblant de réfléchir…
En partant des jeux de math ou de logique, on remet les pendules à l’heure. C’est vrai que la personne qui connaît le jeu a un avantage lors d’une première partie (et encore !!) mais les participants peuvent très vite reprendre le dessus surtout s’ils sont « joueurs ». Autre avantage des jeux de math et logique : la durée de jeu. En effet, la durée d’une partie étant beaucoup plus courte, on peut très facilement refaire la revanche voire même la belle alors que pour la plupart des jeux de langage on n’aurait peut-être pas terminé la première partie.
A travers le jeu, on peut également voir les stéréotypes et travailler sur les « genre » que nous retrouvons ailleurs dans notre société. Dans la communauté arabo musulmane, par exemple, les hommes sont souvent de très bons joueurs. Ils passent parfois des journées à jouer aux cartes, aux dames, aux dominos et au « Parchis ». Les femmes quant à elles disent très fréquemment qu’elles ne peuvent pas jouer que c’est réservé aux hommes, qu’elles n’ont pas le temps pour ça, etc.
Durant le festival, les femmes sont beaucoup plus réservées, le démarrage est plus lent et il faut parfois les « apprivoiser » avec des jeux plus simples mais une fois lancées, certaines peuvent s’avérer fort redoutables et si elles peuvent « mettre une raclée » aux hommes, la victoire n’en est que plus belle. Dans les groupes d’alphabétisation, il n’est pas rare que des mamans nous disent face à un jeu de Puissance 4 « Ah ! Mes enfants ont ça ! » ou bien « J’ai déjà vu ce jeu à la brocante mais je ne sais pas comment on joue ! ».
Comment amenez-vous le jeu lors du festival ?
Durant le festival, nous présentons plus d’une centaine de jeux différents. Parmi les jeux sélectionnés très peu font l’objet de publicité à la télé et ils ne sont pas vendus en grande surface mais dans des magasins de jeux. Le fait de voir le contenu des boîtes, de jouer, d’avoir des explications quant aux règles, au nombre de joueurs, … beaucoup de visiteurs demandent où ils peuvent se procurer ces jeux et nous leur donnons les adresses de toutes les ludothèques de la région bruxelloise (car ces jeux sont souvent chers) et quelques noms de magasins plus spécialisés.
Certains centre de formation, la Chom’hier notamment nous demande des jeux pour travailler le même jeu en sous-groupes où les participants doivent lire la règle et l’expliquer aux autres : tout un programme !
En guise de conclusion, je pense que la leçon à tirer de ces témoignages est que le jeu rassemble universellement, malgré les différences. Tout le monde joue ! Et c’est en jouant que l’on s’aperçoit à quel point nous sommes semblables et le principe d’égalité se retrouve à tous les niveaux du jeu et dans lequel on trouve l’égalité à tout niveau.
On voit également clairement que le jeu permet de développer les compétences à la fois logiques et langagières mais également humaines. C’est ici qu’il montre toute sa force et toute sa densité, dans la réalisation le plus noble qui soit de sa propre humanité.