Ludothèque : vers une (nouvelle) définition ?
(environnement/éthique/consumérisme)
L’Association Internationale des Ludothèques (ITLA www.itla-toylibraries.org ) fête ses 25 ans ce 28 mai, journée mondiale du jeu. Mais qu’est-ce qu’une ludothèque ? Il suffit de réaliser un micro-trottoir ou interroger nos représentations par une séance de jeu « unanimo » (Cocktail games) pour s’en convaincre, ce concept demeure diversement interprété si pas méconnu. Le mot est apparu dans nos dictionnaires au début des années 70.
D’après Le petit Robert (2003), le mot « ludothèque », du latin « ludus » et « thèke », est apparu en 1971 d’après « bibliothèque » et désigne un « centre de prêt de jouets et de jeux ». Même si, à l’origine, « thêké » signifie « dépôt » et non « prêt », il est donc clair que la ludothèque est considérée au départ comme le simple équivalent d’une bibliothèque pour les objets de jeu.
Le Robert, dictionnaire historique de la langue Française (Rey, 1992) confirme : « nom féminin apparu vers 1970 sur le modèle de bibliothèque, « collection de jeux, système de prêt de jeux ». L’anglais « Toy Library » est encore plus explicite à cet égard.
Le Petit Larousse (2009) mentionne quant à lui : « espace d’animation ludique et de prêt de jeux et jouets »… le rôle premier n’est plus le prêt. Ceci est d’autant moins anodin si on considère qu’animer, c’est donner une âme ! Notons avec intérêt que le décret de lecture publique régissant les bibliothèques en Fédération Wallonie Bruxelles (2009) consacre une évolution similaire pour les bibliothèques.
Dès 1996, le Dictionnaire des jeux de société (Lhôte), mentionne d’abord le jeu sur place : « la ludothèque est un lieu où l’on peut venir jouer et emprunter des jouets »…
Les dictionnaires entérinent souvent avec retard les usages dominants, dès lors il paraît d’autant plus utile de prendre en compte les définitions officielles…
La définition actuelle du concept de ludothèque semble s’être fixée vers 1990. Dans la foulée des deux premiers congrès internationaux des ludothécaires (Stockholm 1978 et Londres 1981), le congrès de Bruxelles en 1984 parrainé par la reine Fabiola, fit encore la part belle au seul secteur du handicap, conformément à la conception anglo-saxonne fondatrice des premières ludothèques au Nord de l’Europe, dans les années 60. Lors de la 5e conférence internationale des ludothèques à Turin, l’Association Internationale des Ludothèques (ITLA) fut officialisée par l’élaboration de statuts, il y a tout juste 25 ans, le 28 mai, devenu depuis lors « journée mondiale du jeu ». Initiant un changement fondamental, cette association sans but lucratif de droit belge a de plus opté pour une définition statutaire particulièrement large du concept de ludothèque. Elle va progressivement gagner une portée mondiale… : « La ludothèque est un service qui procure à ses membres une possibilité de jeux partagés et/ou le prêt de jeux. Une ludothèque peut fonctionner à l’initiative d’individus, d’organisations caritatives, d’asbl, de pouvoirs locaux, régionaux ou nationaux, ou de toute autre institution organique de ce genre. Les membres des ludothèques peuvent être des enfants, des parents, des grands-parents, des personnes s’occupant d’enfants, des enseignants et/ou des écoliers, des membres du personnel hospitalier et/ou des patient ,ou toute autre personne ou ensemble de personnes intéressées par le jeu et le jouet». Cette définition exclut le secteur commercial et suggère la possibilité d’accueils tous publics par les ludothèques, même si leurs collections peuvent être spécialisées. Elle consacre l’avènement de la vision latine des ludothèques ouvertes à tous par rapport à la vision thérapeutique anglo-saxonne. Dans sa thèse sur les ludothèques publiée à la même époque, Annie Chiarroto en formule la définition faisant aujourd’hui encore autorité dans le monde francophone : « un espace ouvert au public et organisé autour de l’activité ludique qui, à partir des jeux et jouets, propose de jeu sur place, un service de prêt et des animations ». Le secteur Ludothèques de la COCOF et, jusqu’ici, l’association LUDO l’avaient adoptée. L’Association des Ludothèques de France (A.L.F.) s’en inspire également : « une ludothèque est un équipement culturel où se pratiquent le jeu libre, le prêt et des animations ludiques ». Le groupe européen (ETL) de l’ITLA insiste quant à elle sur les moyens mis en oeuvre: « sans but commercial, les ludothèques fournissent des ressources pour jouer, y compris les jouets, les jeux, la formation du personnel et la spécificité de l’espace ». De fait, il convient de rappeler que, si le jeu porte sa fin en lui-même, pour tout ludothécaire formé, il n’est pas pour autant un but en soi mais bien un merveilleux moyen.
Dans cet esprit, nous proposons aujourd’hui une nouvelle définition du concept de ludothèque : « espace abritant une collection de jeux et jouets pensée et animée dans un but d’utilité publique » . Elle se veut la plus large possible conformément à celle de l’ITLA (et de l’ETL), mais plus synthétique et réaffirmant à la fois les rôles culturel, patrimonial mais aussi social et socio-affectif des ludothèques. C’est cette définition que l’Académie de Recherche de l’Enseignement Supérieur en Belgique francophone a adopté dans le cadre du « Référentiel de compétences du diplôme en Sciences et techniques du jeu ».
Les ludothèques du groupe continental européen (ETL) de l’association internationale
Pays (et date de lapremière ludothèque) |
1990-1991 | 1996-1999 | 2005 | 2013 |
Allemagne (1971) |
70 | ? | 80 | 100 |
Autriche | ? | ? | ? | 50 |
Belgique (1972) | 125+25 | 130+ ? | 130+83 | |
Chypre (2004) | 0 | 0 | 0 | 6 |
Croatie (1976) | ? | ? | ? | 19 |
Danemark (1959) | 42 | 50 | 42 | 26 |
Espagne (1980) | 8 | 400 | 380 | 600 |
France (1967) | 500 | 800 | 1150 | 1200 |
Grèce (1990) | 1 | ? | ? | 4 |
Hongrie (1993) | 0 | ? | ? | 8 |
Islande (1976) | 12 | 15 | ? | ? |
Italie (1977) | 50 | 290 | 350 | 450 |
Irlande (1979) | 20 | 10 | ? | ? |
Lituanie (1994) | 0 | ? | ? | 108 |
Pays-Bas (1974) | ? | ? | ? | 300 |
Portugal (1975) | 15 | 170 | 300 | 700 |
Roumanie (1994) | 0 | ? | ? | 27 |
Royaume-Uni (1967) |
1100 | 1033 | 2000 ? | 1000 |
Suède (1963) | 75 | 100 | 50 | 5 |
Suisse (1972) | 260 | 360 | 400 | 372 |
Turquie (1999) | 0 | 0 | ? | 14 |
Nombre de ludothèques : Sources : BJORCK-AKESSON, Eva ; BRODIN Jane ; LINDBERG Marianne, e.a. Play is for all- Toy Libraries in an International Perspective, WRP Internationnal, Stockholm, 1990 and 1999. ITLA, 2005 CORNELISSEN, Jean-Pierre « Connaître les structures ludiques » , formation LUDO 2005 ; LUCOT, Alice. Les ludothèques dans le monde. In : LUDO n°24, ALF, Paris, mai 2006, p.10. et ETL Documentation for Toy Libraries 2013
Ces statistiques confirment que la vision anglo-saxonne (USA, Danemark, Suède, Royaume-Uni, Islande, Irlande…) qui cantonne la reconnaissance officielle du jeu à un rôle thérapeutique s’est soldée par un dynamisme aussi éphémère que précoce (au mieux, stabilité du nombre de ludothèques sur toute la période observée).
La faiblesse généralisée des chiffres allemands peut sembler étonnante au regard du dynamisme et de la popularité des jeux d’édition dans ce pays. Elle s’explique précisément par ce succès : le jeu de société familial y est d’une telle évidence que le prêt de jeu et l’animation ludique y constituent des activités forts rentables ainsi exclues du rôle allocatif de l’Etat. Ainsi, les nombreuses « spilieotheken » allemandes étant, pour l’essentiel, des comptoirs de prêts et associations ludiques commerciales, elles se voient logiquement exclues des statistiques internationales officielles et ne sont pas reconnues par l’International Toy Libraries Association (ITLA). Par ailleurs, la pratique majoritairement familiale ne favorise pas l’éclosion de ludothèques pour adultes du type clubs de jeux.
Au contraire des tenants des seules vertus commerciales ou thérapeutiques du jeu, dans tous les pays à conception latine qui valorisent ses dimensions sociale et éducative essentielles, le nombre de ludothèques a de fait connu une croissance spectaculaire et ce phénomène a commencé en Suisse. Dans tous les pays excepté… en Belgique francophone !
Le dynamisme européen porté par cette nouvelle vision se confirmera ensuite aux congrès mondiaux de l’ITLA organisés en Europe : Zurich en 1996, Lisbonne en 2002, Paris en 2008 et, très certainement, également à Amsterdam… en 2017.
Afin d’être pleinement assumé, ce choix ambitieux doit néanmoins aller de pair avec un financement public adéquat. La stagnation francophone belge cache de fait un tassement généralisé en Wallonie compensé par une croissance bruxelloise ces 10 dernières années où un Règlement volontariste de la COmmission COmmunautaire Française de la Région de Bruxelles-capitale permet un subventionnement direct de toutes les ludothèques sur son territoire depuis 2003. L’administration de la COCOF propose en outre un secteur ludothèques qui emploie 5 fonctionnaires spécialisés !
Charte de qualité, nombreuses formations supérieures et universitaires, professionnalisation du secteur, au-delà de l’évolution du nombre de ludothèques, malgré une crise récente, le dynamisme français est plus exemplaire encore ! Il faut dire que dès l’automne 1998, l’Association des Ludothèques Françaises bénéficiait d’un accord- cadre concernant l’emploi des jeunes portant sur l’engagement de 300 personnes en trois ans. Le métier de ludothécaire faisait ainsi en France une entrée officielle bien méritée dans le monde des trois ministères cosignataires : la Culture, Emplois et Solidarité et jeunesse et Sports ! (SPEHMER, Catherine, La lettre de l’ALF n°22, oct-nov-déc 1998)
La Belgique compte actuellement 223 ludothèques dont 130 en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il est délivré par la Haute Ecole de Bruxelles et la haute Ecole Spaak. La vision des ludothèques en Belgique se reconnaît dans le modèle latin. Bien que des ludothèques adaptées aux personnes atteintes d’un handicap et des ateliers sociaux spécialisés dans la fabrication de jeux existent, ils constituent, chez nous, des lieux de socialisation ouverts à tous !
En Belgique, le métier de ludothécaire a une existence légale via sa mention aux côtés des bibliothèques et médiathèques dans la commission paritaire n°94 (socio-culturelle). Mais, à l’image des bibliothécaires il y a quarante ans, malgré le personnel des ludothèques communales, plus d’une ludothèque sur deux demeurent associatives en Fédération Wallonie-Bruxelles, et les ludothécaires y sont aujourd’hui encore très majoritairement bénévoles. Le secteur s’y professionnalise progressivement. Un diplôme officiel « en sciences et techniques du jeu » a vu le jour en 2013 en collaboration avec LUDO, l’association des ludothèques francophones belges et de promotion culturelle du jeu qui a récemment réintroduit une demande de reconnaissance culturelle dans le secteur de l’éducation permanente auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
A l’heure de conclure, reconnaissons enfin que ces chiffres mériteraient à tout le moins des études plus approfondies afin d’étayer et d’affiner cette analyse trop superficielle.
Michel VLG, Président LUDO asbl, Vice-Président de l’ITLA
Image d’illustration : www.caenjouestu.net
Cette nouvelle définition de la ludothèque, plus synthétique, est intéressante, elle laisse la place à la diversité tout en rassemblant autour d’un but général. Je ne connais pas bien le droit des associations Belge, mais en France « l’utilité publique » a un sens très précis, il fait référence à un agrément ministériel, ne dirait-on pas plutôt « utilité sociale » ? Ce terme est plus large et probablement correspondrait mieux à ce que l’ITLA veut faire passer comme message.
Il faudrait alors définir l’utilité sociale, mais l’utilité publique aussi dans votre cas, et trouver les moyens d’affecter une partie des financements l’inscrits dans les politiques publiques de chaque pays, au financement des ludothèques, pour leur action généraliste d’utilité sociale sur un territoire.
A votre disposition si ce point attire votre attention
Suite au commentaire de Nicole Deshayes, je rajoute que maintenant le terme « utilité sociale » a aussi un sens très normé, preuve en est l’agrément ESUS : entreprise solidaire d’utilité sociale : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F32275 !!!
L’association des Ludothèques Françaises est en recherche sur une nouvelle définition ; à Ludambule, nous proposons :
« Équipement culturel ouvert à tous et toutes qui mène des actions autour du jeu en tant que pratique et patrimoine », largement inspirée de propositions de l’ALF, mais qui reste encore à débattre, avec le désir de rajouter le concept d’utilité sociale. A nos méninges !!!