L’hommage du monde ludique paru chez Ystari (image ci-dessus) est un véritable Rigal, mais à l’allemande : thème plaqué sur de riches mécanismes. Le plus grand auteur anglo-saxon n’est pas rancunier, il a choisi Ludobel pour nous rappeller à son bon souvenir… nous parlant de sa jeunesse et de son compagnon d’infortune hispanique il y a 400 ans. Et dans la langue de… Montaigne s’il vous plait !
Les visions de l’au-delà (Hiéronymus Bosch, vers 1500, détail : l’ascension vers l’empyrée, Palais des Doges, Venise)
Avertissement au Lecteur:
23 avril 1616. Au bout du couloir, je revois cette silhouette d’hidalgo manchot à la face barbue pâle et triste ainsi peinte jadis par Greco. Est-ce là mon image ? Qui est ce chevalier au miroir ? J’imaginais Dieu ou Saint-Pierre plus bienveillant. Et voici que me remonte en un fouilli de tableaux successifs, toute la genèse de ma jeunesse enfouie…
Dans les limbes du passage où régnait ce visage me mena Cassandre, la servante du Cheval blanc, l’ange rebelle de Bosch plutôt que de Breughel. J’entends encore son persiflage zélé et nauséabond. Cassandre, la belle sibylle ; Cassandre la bien nommée, ses prédictions naissant selon ses propres dires « immuablement au cœur en cendres des hommes détruits ». Le pied à l’étrier de Pégase, ses présages fendaient un temps le vent ou les flots de larmes, pour s’en aller mourir, transportés aux portes des oreilles incrédules où, étrillés, ils devaient prestement baisser pavillon.
Alors que j’expire, cette servante, est-ce la voix de Dieu ? A tout le moins un souvenir d’en France au sortir d’enfance, riche d’expériences au contact des hommes et femmes les plus illustres…
Je fus effectivement cet été 1582 pour ainsi dire institué juge d’un procès contre Philippe II, le Roy très catholique qui lia en un immense complot notamment son puissant secrétaire Antonio Perez et mon maître d’alors, messire Duplessis-Mornay, depuis affublé du sobriquet de « pape des huguenots ».
Cassandre était apparue lorsque Messire d’Aubigné, l’écuyer du Roy de Navarre jouant le rôle de procureur accusa de poltronnerie l’avocat de la défense, le sieur de Bourdeilles, abbé de Brantôme et gentilhomme rebelle de la chambre du Roy de France.
Elle les empêcha d’en venir aux mains par l’une de ses curieuses prédictions : « Oui-dà, à l’unisson plus que vos épées, vos plumes passeront à la postérité sans jamais atteindre telle renommée des Essais du sieur de Môtaigne en langue françoise et plus encore de ces deux-là dans leurs idiomes étrangers ».
En nous désignant du doigt, moi le petit page anglais et mon voisin espaignol tout déguenillé, elle ajouta « qui mourrez ensemble, je veux dire l’espace d’une même journée mais non en même lieu ni à même date ! » Elle avait raison puisque revoilà aujourd’hui devant moi le manchot de Lépante. Ce jour-là, c’est pourtant de vive voix que cet hombre me fit impression me contant sa vie de galère et sa colère contre le Roy d’Espaigne dont il servait désormais le secrétaire félon, l’épée à la senestre main. A dix-huit ans, à l’heure d’être mis hors de page pour mariage, comme lui, je n’avais alors rien couché sur le papier que l’une ou l’autre piécette et quelques poésies. Son grand œuvre de plume me vint bien plus tard, non sans effet sur la mienne.
N’était-ce là qu’un songe d’une nuit d’été ou le cauchemar produit par l’esprit tourmenté du Roy d’Espaigne ? Lecteur, à toi de juger, du moins si tu as le courage de lire in extenso ces élucubrations en mauvais françois. Elles te sont qui plus est livrées ici, telles qu’elles me reviennent dans leur vérité crue et complexe. Ce sont là pourtant les logorrhées de dialogues authentiques dont je fus témoin ou qui me furent rapportées par monsieur Duplessis-Mornay, être au-dessus de tout soupçon s’il en est. Afin de te prévenir d’indigestion, je les posterai ici désormais chaque semaine par bribes de trois ou quatre pages roboratives seulement. Sont-elles à ton goust, n’hésite pas à les partager avec tout amy qui pourrait y trouver quelque intérêt. Toutefois, aux premiers symptômes inverses, mets les en pièces ou loge les à la corbeille !
Belle semaine et à samedi, si le cœur t’en dit.
Guilelmus filius johannes Shakespere