LUDO asbl réagissait récemment à la couverture du magazine littéraire (juillet-août 2014): Le jeu se détache du réel pour mieux nous permettre de l’embellir. Plus que « récréation », le jeu est « re – création ! ». Le langage est culture. Les idées ont besoin de conventions pour être partagées et devenir projet.
En prélude à une savoureuse « Histoire des jongleurs de mots », puisse cette étude complémentaire nous aider à prendre le temps de réfléchir notre langue… (ou à tout le moins alimenter le débat). Dans une première partie nous passons en revue les différents jeux de mots (et de langage) et leurs ressorts, dans la seconde nous nous penchons sur l’empreinte culturelle de l’humour langagier ; enfin, dans une annexe oulipienne, nous nous coiffons d’un bonnet d’âne à grammes…
Partie I : Enigmes, rhétorique et poésie aux origines des jeux avec les mots
Jeux et langage
Jean-Michel Varenne et Zéno Bianu intronisent les jeux d’esprit, ces jeux sans jouet matériel, comme originels et fondamentaux dans « l’esprit des jeux » (1990). Ce sont les plus anciens jeux spécifiquement humains : « Dans le jeu millénaire qui confronte l’homme aux secrets du cosmos, la pulsion interrogative a sans doute constitué la première modulation de l’intelligence. Aux premières lueurs de la conscience, le sujet humain cherche à relever le défi que lui pose l’univers, à s’éprouver par une réponse créatrice ».
Les jeux de mots forment une catégorie particulière de jeux d’esprit qui a le langage pour objet. Ils vont naturellement de paire avec l’apparition de ce dernier dans le processus d’hominisation, sous une forme symbolique et articulée *1.*1 La musique de la langue -sans langue pas d’oralité, de prononciation- et les jeux de mots sont forcément aussi anciens que le langage lui-même. Mais non que les mots eux-mêmes; certains oiseaux « bavards » en sont une parfaite illustration : la capacité physique existe parfois sans l’intelligence associée au langage -encore faudrait-il la aussi un son originel à reproduire-. Bien que la thèse semble aujourd’hui contestée, les homos habilis, premiers hominidés à façonner des outils et à chasser, seraient également les premiers ayant maîtrisé un langage articulé. Il y a 2,5 millions d’années environ, à la faveur d’une période de sécheresse, le larynx de ces hominidés serait descendu libérant une caisse de résonance suffisante pour le langage oral. Notamment utile pour coordonner une chasse groupée, cette habilité aurait été rapidement développée et structurée ; les paléontologues auraient d’ailleurs identifié la trace possible d’une zone de Broca, siège de la parole, dans le crane fossile d’homos habilis (Coppens, 1996; Favre, 2008). Les jeux de mots «ont une dimension textuelle réduite, appliquent une règle explicite et concernent de préférence les sons ou les lettres » (Todorov, 1978). On peut ainsi distinguer les jeux de mots parlés, basés essentiellement sur les sons et l’oralité, et les jeux de mots écrits, basés surtout sur des lettres ou des dessins et nécessitant donc généralement un support visuel. Les uns comme les autres jouent souvent sur les significations des mots et leurs différentes acceptions potentielles. De fait, au sens strict, « le jeu de mots est une équivoque, une plaisanterie fondée sur la ressemblance des mots (Petit Larousse, 2009) ». Entendus dans un sens plus large, les jeux de mots sont en fait des jeux avec les mots. Les jeux de langage désignent actuellement plus particulièrement l’ensemble de ces jeux sous leurs formes éditées : jeux de société et ludiciels (Commission communautaire française, Maison de la Francité, 2003)
Enfin, rappelons que le mot français « jeu », vient lui-même du latin « Jocus » signifiant « badinerie, plaisanterie orale» (s.d. Rey, 1992; Van Langendonckt, 2010). S’il nous met au défi et nous aide à mieux comprendre le monde, le jeu permet aussi d’apprivoiser l’existence par un état d’esprit particulier : le plaisir frivole d’un second degré, d’une parenthèse d’existence, d’une distance, d’un humour qui aide à vivre. C’est le jeu (l’esprit) du joueur qui fait le jouet (Henriot, 1960, 1989). Merveilleux jouet potentiel, la langue française n’y fait pas exception, même s’il n’en fut pas toujours ainsi.
1 Enigmes et jeux de mots sacrés
A l’origine, étaient les jeux d’énigmes. Mythes et mythologies témoignent du lien originel des jeux d’esprit et du sacré, à commencer par le dieu égyptien Thot* (appelé Hermès par les Grecs et Mercure par les romains), à la fois inventeur des chiffres, des lettres et…. des jeux (Lhôte, 1993). Dans l’éloge de la folie (1508), Erasme raconte comment les tours spirituels et espiègleries de Mercure alliées aux balourdises physiques de Vulcain font rire les Immortels dans la salle des Festins (Romain, 1997) et Hermès trismégiste passera longtemps pour un mage chrétien adepte des jeux et de la science kabbalistique (Yates, 1988). Mais ces jeux de mots-là ne sont pas comiques et, globalement, le rire sera mal accepté jusqu’au bas Moyen-âge (Fize, 2009).
Jeux en paroles parmi les plus anciens attestés, à l’instar de l’énigme du Sphinx dans le mythe d’Œdipe raconté par Sophocle, les jeux d’énigmes se basent parfois sur des jeux avec les mots* Quel est l’être qui marche à quatre pattes au matin, sur deux à midi et sur trois le soir ? Réponse… l’homme. Bonjour la métaphore et la polysémie(Gagnière 1997 ; Masson, 2006), ce ne sont pas tous véritablement des jeux de mots pour autant. Demandes (ou questions) et réponses, devinettes, chaud-froid, portraits, tortue, pigeon vole, mots croisés, les mots fléchés, vrai-faux, pendu, logogryphes, Robespierre, Trivial poursuit, jeopardy, charades, rébus, dingbats, schmilblik, coq-à-l’âne, corbillon, baccalauréat, familles recomposées, combles, briche,… ancestraux, traditionnels ou contemporains, ces jeux de logique ou de connaissances apparentés demeurent en tout cas innombrables…
2 Figures de style, sacrés jeux de mots !
Rhétorique et poésie rimée impliquent mille et un jeux de mots littéraires
La rhétorique
La rhétorique désigne la dernière année d’enseignement secondaire en Belgique. Il s’agit de l’art de bien parler, de bien s’exprimer dont l’éloquence est l’un des résultats pratiques. Un outil précieux de citoyenneté à l’âge de fin d’obligation scolaire et de majorité légale. L’enseignement de cet art essentiel est apparu logiquement dans la démocratie directe athénienne*« La dictature, c’est ferme ta gueule, la démocratie, c’est cause toujours » ironise Woody Allen, avant d’essaimer dans toute la culture gréco-latine*. *Les antiques jeux olympiques et pythiques célébrés en l’honneur de Zeus ou d’Apollon comportaient notamment des concours d’éloquence.La virtuosité formelle et le raffinement lexical du langage français atteindra son apogée (son paroxysme hermétique et pédant diront certains) avec les chroniqueurs et poètes de cour de la fin du 15e siècle appelés les « Grands rhétoriqueurs ». La rhétorique passera ensuite progressivement au second plan jusqu’à aujourd’hui.
La rhétorique se nourrit de dialectique (l’art de l’argumentation) mais surtout de nombreuses figures de style, effets sonores et autres jeux langagiers. Scrabbleurs et candidats oulipiens (cf. annexe), à vos carnets et dictionnaires ; de ces « fleurs de rhétorique », Claude Gagnière (1997) nous détaille un florilège: « allégorie, allitération, anacoluthe, anaphore, antanaclase, antiphrase, antonomase, antonymie, aphérèse, apocope, apophtegme, apostrophe, archaïsme, asyndète, catachrèse, chiasme, circonlocution, ellipse, enthymène, épitrope, euphémisme, gradation, hypallage, hyperbole, idiotisme, ironie, litote, métaphore, métonymie, néologisme, oxymoron, paréchème, paronomase, périphrase, prétérition, prosopée, syllepse, synecdoque, tautologie, tmèse, zeugma ». La préciosité de cette kyrielle de mots « savants » cache souvent des jeux et altérations du langage si courants que nous en réalisons régulièrement sans même nous en rendre compte. Même si leur but n’est pas tant ludique que de servir le discours, réutilisées intentionnellement dans un cadre ludique certaines de ces figures de style deviennent de véritables jeux de mots. Néanmoins, d’une manière générale, faire de la rhétorique nécessite de jouer avec les mots mais non de faire des jeux de mots.
Quoiqu’il en soit, une étude exhaustive des « jongleurs de mots » devrait donc s’intéresser aux discours des rhéteurs politiques, tribuns de la plèbe, polémistes, pamphlétaires, orateurs et autres prédicateurs religieux voire des publicistes, porte-paroles et chargés de com. Pour tous ceux-là, il s’agit de bien argumenter (dialectique) et de s’exprimer clairement mais, aussi, et parfois avant tout, de jouer avec les mots afin de séduire par la musique et l’esthétique de la langue pour mieux convaincre. L’instrument de démocratie se fait ici parfois instrument de démagogie* Dont se servent toutes les idéologies cf. par exemple le tristement célèbre « quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver » extrait d’un discours de Joseph Goebbels (ministre de la propagande de Hitler) que l’humoriste objecteur Francis Blanche renversera : « quand j’entends le mot – revolver-, je sors ma culture » ou, le non moins célèbre calembour approximatif « Durafour crématoire » du révisionniste d’extrême droite Jean-Marie Le Pen.
La poésie rimée
« L’art de combiner les sonorités, les rythmes, les mots de la langue pour évoquer des images, suggérer des sensations, des émotions. » (Petit Larousse, 2009). Ici l’art du langage sert en principe le souci purement esthétique de la musique de la langue. De tout temps, les poètes ont taquiné les muses. Et, depuis la plus haute antiquité, Erato (poésie lyrique) et Calliope (poésie épique) ont eu du boulot. Au début du moyen-âge, les rimes se perdent mais à la renaissance carolingienne (8e -9e siècles), troubadours et trouvères les retrouvèrent* * « Troubadour » et « trouvère » signifient « celui qui trouve » respectivement en langue d’oc et en langue d’oïl. « Oc » et « oïl » étaient les manières de dire « oui » en roman du Sud et du Nord de la France. (Dante, 1315, cité par Flutsch, Gross et Délèze, 2010). A partir du 13e siècle, progressivement, ces derniers chantent de plus en plus souvent leurs poésies épiques (chansons de gestes) et lyriques (drames) en ancien français *Parmi les langues vulgaires, au sein de la famille d’oïl, c’est de fait le patois de Paris, appelé plus tard « francique » ou « ancien françois » qui s’imposa. Cette versification implique la recherche et l’utilisation systématique des homonymes et paronymes de cette jeune langue. Les jeux de mots français sont nés.
Mais il n’y a pas que les fabliaux, les madrigaux, puis les sonnets : vers holorimes, rimes équivoquées, tautogrammes, acrostiches, épigrammes (poèmes courts) satiriques, cadavres exquis, calligrammes, …, de nombreuses formes poétiques sont clairement ludiques, au bas moyen-âge, elles ne se cachent plus.
La rime essaime également vers d’autres genres comme la fable, la farce satirique et le théâtre comique, favorisant l’apparition des jeux de mot dans bien des genres littéraires pendant des siècles, avant de décliner au siècle dernier. « La poésie » ne fut-elle pas le nom de notre avant-dernière année d’humanité en Belgique ? Mais voilà une appellation que les moins de vingt ans…
Si la poésie est l’exercice d’une créativité expressive, d’une imagination langagière dans le respect de règles précises (rimes et nombre de pieds), on se rapproche de la définition même du jeu : « l’exercice d’une liberté de et par une légalité (Caillois, 1958) ». Entre art et jeu, où la poésie se situe-t-elle ?
Le jeu est en quelque sorte la première poésie de l’homme, mais l’affirmation de la poésie comme jeu sera quant à elle tardive et timide. Elle sera surtout le fait de quelques mouvements littéraires, marginaux pour la plupart, tels les incohérents, les pataphysiciens, les surréalistes, les hussards et les oulipiens à la fin du 19e et 20e siècles. « Le jeu flirte avec l’art parce qu’ils ont des points commun. L’art comme le jeu se situe dans le second degré. Il n’existe que par les décisions qui sont prises pour créer un monde, avec un certain nombre de règles …. La différence vient du fait qu’en général l’artiste ne considère pas son activité comme frivole » (Brougère, 2008). Jean-Marie Lhôte (2008) affirme pourtant : « à la fin du 19e siècle, l’art qui tend à s’exprimer indépendamment de toute représentation se rapproche du jeu… et au 20e siècle, en engloutissant l’art, le jeu anéantit le sacré. »
3 L’humour langagier : les jeux de mots proprement dits… ou écrits
« Tenter de définir l’humour, c’est risquer d’en manquer »,
Tel est le reproche des proches et Desproges,
Lui qui, en phase terminale, nous faisait l’humour de dire :
« plus cancéreux que moi, tu meurs », ricanait encore
« on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde».
Si vous êtes d’accord avec Pierre, jetez-la moi donc…
Elle tombe à l’eau, je me marre ; elle me touche, je m’étends !
Originellement, un humoriste est quelqu’un qui a les humeurs troublées d’humeur maussade, mélancolique, même s’il préfère être « flegmatique
qu’atrabilaire » (Gagnière, 1997). Aujourd’hui, l’humoriste est un auteur de dessins, d’écrits comiques ou satiriques et par extension, quelqu’un qui a de l’humour (Petit Larousse, 2009). Dans l’humour noir, l’autodérision, « la politesse du désespoir » dira Boris Vian, il reste cependant aux meilleurs humoristes quelque chose de leur passé étymologique. Pour Michel Fize (2009) l’humoriste est plus particulièrement le spécialiste du rire des mots, du comique langagier. Dès 1900, Bergson y distingue le comique lié au contenu qui traduit des situations risibles en mots et le comique reposant sur le langage lui-même qui est composé de mots qui produisent du risible par eux-mêmes.
Le rébus, jeu de mots, et l’anagramme, jeu de lettres… écrits
Du grec ana-gramma renversement de lettre. Avec les lettres d’un mot en former un autre (soigneur-guérison ; niche-chien). L’anagramme est le jeu de mot écrit par excellence basé sur les lettres des mots, non sur les sons. Lorsque l’anagramme n’est pas parfaite on parle de métagramme * Par exemple, le jeu du « coq- à-l’âne », passé depuis dans le langage courant, qui consistait à l’origine à passer au plus vite d’un mot à un autre en changeant à chaque fois une seule lettre. Combien d’étapes sont nécessaires pour passer du coq à l’âne ? Sept ! Coq, col, cil, mil, mie, aie, âne (Allali, Petit Larousse des jeux,2005).
L’origine des anagrammes est divinatoire et paraît aussi ancienne que l’alphabet lui-même* L’alphabet cursif phénicien à 22 signes datant du 12e siècle avant l’ère chrétienne est le plus ancien décrypté à ce jour. Soulignons ici l’importance du mythe d’Europe qui s’avère central dans la mythologie grecque et pourrait nous aider à construire une identité européenne s’il était mieux connu. Europe, belle princesse phénicienne, est enlevée par Zeus transformé en taureau. Il l’emmène en Crête où ils s’unissent pour engendrer le sage roi Minos. La réalité rejoint la fiction qui en est le parfait reflet symbolique: notre alphabet latin est issu de l’ajout des voyelles grecques aux consonnes phéniciennes. si bien qu’on se trouve ici à la frontière entre jeux de mots et ésotérisme pur. Basées sur des écritures syllabiques (hiéroglyphes, cunéiformes) les toutes premières civilisations urbaines dans la vallée du Nil et en Mésopotamie sont cependant des civilisations du rébus. « Discours par chose nous dit l’allemand –Sinnrebus- Le rébus s’inscrit dans le long cheminement qui conduit l’humanité du dessin (traces, symboles, signaux) à l’écriture proprement dite. Antérieur à tous les idiomes actuellement en usage, presque exclusivement phonétiques, il constitue l’une des plus anciennes manifestations de la pensée. » (Varenne, 1990). Avec les premières cultures anciennes à écritures non figuratives de type alphabétiques (phénicien, hébreux, sanscrit, grec, latin) on passe de l’ère du rébus à l’ère de l’anagramme. Avec le recul de l’écriture et le développement de l’héraldique au Moyen-âge, le rébus connut une nouvelle heure de gloire jusqu’à la Renaissance.
Les fonctions sacrées et comptables des premières écritures exercent une double fascination quasi magique. Comme pour les jeux d’énigmes, il y a d’ailleurs parfois dans l’anagramme ou le rébus mariage de la lettre et du chiffre. Acronymes et d’acrostiches, charades et logogryphes, d’autres jeux de lettres et de syllabes sur lesquels nous reviendrons, apparaissent également fort anciens, proches des anagrammes ou des rébus et s’apparentent à des jeux d’énigmes.
Dès le 4e siècle avant l’ère chrétienne, Platon nous révèle dans le Cratyle l’existence de l’Onomancie, la prédiction de l’avenir en fonction des lettres d’un nom. La Kabbale aime pour sa part jouer avec les chiffres. D’une manière générale, les alphabets basés sur les consonnes (phénicien, hébreux, arabe) permettent théoriquement des anagrammes plus nombreuses et interprétations et de prononciations de liaisons changeantes propices favorisant les jeux de lettres et de mots écrits. « Termurah » qui signifie permutation en Hébreux suggère que la Bible contient des millions de fois le nom de Dieu ; quant au tétragramme sacré du nom de dieu (YHWH), il renvoie aussi bien à « Javeh » qu’à « Jehova ».
De même, le catholicisme a développé des croyances à propos de certains saints en fonction de la sonorité de leur nom comme, par exemple, Saint Cloud pour les furoncles ; « A la saint-Léger ne pas récolter d’épis de blés », etc… Dans un essai intitulé « anagrammes », le linguiste suisse Ferdinand de Saussure (1875-1913) affirme que la poésie des Anciens, qu’elle soit védique (ancien sanscrit), grecque ou latine, était fondée sur une activité cryptique qui dissimulait le nom des divinités sous forme d’anagrammes. De l’analyse des oracles de Delphes, il cite d’autres exemples plus tardifs, attestant la pérennisation des croyances aux vertus prophétiques des anagrammes au moins jusqu’au 17e siècle. Versailles, région boisée, aurait été notamment choisie pour bâtir le château du Roi par le déterminisme appliqué à son anagramme : « ville seras » (Gagnière, 1997). Avec « révolution française », Balzac fit encore « un veto corse la finira » et « Napoléon empereur des français » devient « un pape serf a sacré le noir démon ». Faut-il dès lors s’étonner qu’encore aujourd’hui le « soigneur » mène à la « guérison », que la « niche » contienne le « chien », que le « pongiste » joue des « poignets » ou que le « couple » « copule » sans « coulpe » ? De la divination au jeu des « mots janus » ci-dessus, il n’y a qu’un pas jubilatoire franchi allègrement… « le ministre fait des intérims, le parisien nécessite une aspirine, la caravane avancera ; nier mène à rien et le bien à béni » écrit encore Gilder (2007). Evidemment comme nous enseignent les Oracles de Delphes tous les procédés divinatoires mènent à des réponses suffisamment ambiguës pour signifier tout et… son contraire. * Notamment l’oracle au Roi Crésus, riche roi de Lydie, demandant s’il devait attaquer les perses : « Si tu attaques, tu détruiras un grand pays ». Il attaqua et détruisit un grand pays non par la taille mais par la richesse : le sien. Ou encore l’athénien Thémistocle, plus perspicace ou chanceux, qui interpréta le conseil « protéger la population par des grands murs de bois » comme désignant la coque des navires de la flotte athénienne qui vainquit les perses à Salamine et non les remparts en bois de l’acropole qui furent saccagés. « Un logo (la Croix), un sigle (I.N.R.I.), des rébus (le poisson), des acronymes ou acrostiches (ICHTUS : Iesous CHristos THêou, Uios, Sôter Jésus-Christ, de Dieu, Fils et Sauveur) et des anagrammes : QUID EST VERITAS ? (Qu’est-ce que la vérité ?) EST VIR QUI ADEST (c’est l’homme ici présent),… » * si on admet que Jésus-Christ et Ponce Pilate se sont parlé en latin et non en syriaque. , Claude Gagnière suggère que le sens rhétorique et notamment les jeux de mots ont aidé «… la religion chrétienne à passer de l’état de secte clandestine à celui de dogme universel. » (1997). Croyance divinatoire ou « sens aigu de la communication », même combat ; les jeux de lettres jubilatoires viendront plus tard.
Un siècle à peine après Platon, l’anagramme se faisait également jeu rhétorique d’esprit et d’éloquence: à la cour de Ptolémée, au 3e siècle avant J-C, le poète et chroniqueur grec Lycophron de Chalcis fait de Ptolemaïos (le nom grec du Roi Ptolémée), « apomelitos » (qui vient du miel) pour le plus grand plaisir du Roi ainsi louangé pour sa douceur. La reine Arsinoé donne « ion Hera » (violette d’Héra). Chroniqueurs (à bien prononcer), trouvères et autres poètes de cour et bouffons de rois y allèrent de leurs anagrammes nominales tantôt élogieuses comme celle de Jean Dorat pour Marie Touchet, favorite de Charles IX : « je charme tout », tantôt sarcastiques… comme « c’est l’Enfer qui m’a créé » pour le « frère Jacques Clément », régicide de Henri III. Une tradition qui ne s’arrêtera plus jusqu’à publier aujourd’hui des livres et des jeux entièrement consacrés aux anagrammes (Cocktail games 2005 ; Perry-Salkow 2007, 2009 ; Ostiguy 2010) Nous en reproduisons quelques morceaux choisis dans nos « jeux oulipiens » parus en annexe avec le bonnet d’ana Graham comme chapeau.
Le calembour, jeu de mots par excellence… surtout en français
Le Calembour est cette forme particulière de poésie qui a l’humour pour objet.
De tout temps, en toutes les langues, le calembour est le jeu de mots oral par excellence. « Il s’agit de l’art de l’homophonie, jouer sur la consonance identique ou approchante de mots différents voire de la polysémie de mots identiques ou presque, nommés alors homonymes ou paronymes, afin de produire un effet comique » (Petit Larousse, 2009).
Dans la langue française, l’homonyme est omniprésent car chaque mot est largement polysémique: un pilon est tout à la fois la partie inférieure d’une cuisse de volaille, une jambe de bois, un instrument dur pour broyer dans un mortier et une masse pour détruire du papier. Le mot « jeu » peut signifier un pari, l’action de jouer, un jouet, un ensemble d’objets, le mouvement d’un objet, … la culture désigne les connaissances générales d’un individu, un champ ou l’ensemble des traits d’une civilisation, etc… (Petit Larousse, 2009)
La plupart des auteurs de la littérature française en sont friands même s’ils ne l’assument pas complètement, au contraire de nombreux humoristes qui s’en sont fait une spécialité. Ruggero (2007) distingue 3 types de calembours selon le niveau linguistique de l’homophonie (exemples cités dans Bailly, 2006 ; Gagnière, 2008 ; Gest, 2010):
1° Le calembour sur un mot isolé
On parle d’homonyme si l’orthographe est la même…
« Le joueur d’échecs comme le peintre ou le photographe, est brillant… ou mat » (Nabokov)
« Les bons salaires ne justifient pas les mauvais traitements » (Michel Laclos)
« Si vous ne vous sentez pas bien, faites vous sentir par un autre. » (Francis Blanche)
« Les bons crus font les bonnes cuites » ou encore « Il est plus facile de trouver un portefeuille sans ministre qu’un ministre sans portefeuille » (Pierre Dac)
« Si les lentilles vous font péter portez des lunettes » (Philippe Geluck)
« Chaperlipopette, ce n’est pas parce que je souris qu’ik ben geluk !» (VLG)
On parle d’homophone si l’orthographe diffère…
« Entre deux mots », il faut choisir le moindre (mots=maux) (Paul Valéry)
« L’halètement à l’allaitement est le b a ba de l’amer à boire pour le bébé » (VLG)
2° Le calembour qui modifie la frontière entre les mots
Soit certains mots seulement sont concernés par l’homophonie :
« Il rentra chez lui il vit le lit vide et le devint aussi » (Allais)
Soit il s’agit de toute la phrase. C’est le cas dans les vers holorimes (ou homophones) à la frontière de la poésie et du jeu qu’affectionnent les grands rhétoriqueurs (15e siècle) et les oulipiens (20e siècle).
« Seau d’eau, mégots morts » (Prévert)
« Etonnamment monotone et lasse / Est ton âme en mon automne, hélas ! » (Vilmorin). « Lâchant son silence/ La chanson s’y lance ! » (Vilmorin)
« Apparaître ? A part être ? Ah… paraître ! Happe à reitres ? A part, reitres ! » (VLG, mes vers homonymes… à paraître)
3° Le calembour qui s’appuie sur des prononciations régionales souvent utilisé comme moquerie ou devinette… Très en vogue dans la vague actuelle du rire « ethnique » français et des « humoristes » d’origine étrangère…
« Bon, je vous laiche comme disent les auvergnats »
Que veulent dire les initiales « ZFF ZBB » sur les trains suisses ?
« Za Fa Fite, Z’est Bas Bozzible ! »
Une autre forme de ce rire ethnique est plus ancienne. Il s’agit d’un humour « inter-linguistique » basé sur la simple lecture d’un texte en langue étrangère ayant un autre sens en français. Etienne Tabourot (1572) en fut un grand adepte.
Voici un extrait célèbre de l’Iliade de Homère : « les troyens entraient dans la ville mais tout espoir n’était pas perdu ». La lecture française du texte grec donne « Où qu’est la bonne Pauline ? A la gare elle pisse et fait caca ».
4° Les jeux de mots proches du calembour
Ruggero (2007) rapproche du calembour, trois formes de jeux de mots qui jouent également sur l’homophonie
L’à-peu-près est un calembour approximatif, basé sur des paronymes… « je suis né de paire inconnue » ou de « l’amour avec un grand tas » (Alexandre de Breffort cité dans Gagnière, 1997) *« Et voilà encore un cas ! Là, marre : je seiche, mon poulpe bat trop fort, je suis médusé : vous n’apportez pas la moindre pieuvre de tout cela ! » (VLG). Proche de ces à-peu-près, citons encore les paronomases répétitives, ces chausse-trappes de la langue encore appelées « virelangues » appréciés de nos professeurs de diction comme de poètes tels Jacques Prévert : « la pipe au papa du pape pie pue » (Bailly) ou Julos Beaucarne (2006)* Répétez donc trois fois rapidement le classique « La grosse cloche sonne » ou le moins classiques « Les Grands Rhétoriqueurs étaient des chroniqueurs» .On peut aussi mêler les virelangues et les à-peu-près : « Nul besoin d’être devin de vingt-deux vains pots de vin afin de délier les langues de bois : avec sciences po, j’ai découvert le pot aux moroses: ce sont des sinistres et des dépités qui nous gouvernent ! » ou « L’amour plutonique est plus tonique que l’amour platonique ou que l’amour plat eunuque qui est plat et plus tonique du tout. » (VLG, extrait de « Chez Poujade, au café du commerce. » A paraître).
La charade propose de deviner un mot, syllabe par syllabe, en proposant à chaque fois une petite énigme. (mon premier est…, mon deuxième est… et mon tout est… ). Une charade à tiroirs est une charade particulièrement complexe et hermétique dont chacun des éléments est construit sur un calembour. L’énigme est alors factice dans la mesure où elle nécessite la plupart du temps d’être expliquée. Voici l’une des plus célèbres : mon premier est un assassin, mon deuxième est un assassin, mon troisième ne rit pas jaune, mon quatrième ne va pas vite et mon tout est un écrivain français.*Réponse : Victor Hugo. VIC car victuailles (vic-tue-ailles); TOR car tortue (tor-tue) ; HU car urinoir (u-rit-noir) et GO car goéland (go est lent).
De Rabelais (1532) à Martin (2008), la contrepèterie ou l’art de « décaler les sons » est une institution à part entière de la langue française. Nous dirions même volontiers à part rentière si les contrepèteries n’étaient si souvent grivoises… « arriver à pied par la Chine », « des parasites nous brouillent l’écoute » etc…
Gagnière (1997) cite pour sa part « les principaux membres de la famille –jeudemot- qui n’a l’ambition que de nous amuser en classe de français : Calembours, à-peu-près, équivoques, homophones, syllepses, pataquès, contrepets, mots-valises, aphorismes -qu’il appelle fables express-, charades à tiroirs, lapsus et kakemphaton ».
Résumons-nous… de même que les contrepèteries, les à-peu-près et les charades, les homophones ont déjà été évoqués (notamment les vers holorimes), ce sont des calembours basés sur les sens de mots orthographiés différemment mais qui se prononcent de la même manière. La syllepse qui accorde des mots selon le sens général et non selon les règles grammaticales* Par exemple « la personne vous attend toujours ; il a l’air furieux. » est l’une des nombreuses figures de style rhétoriques citées plus haut. Gagnière rappelle en outre que les calembours furent appelés « équivoques », « rimes équivoquées » ou « homophones » ; aujourd’hui, l’équivoque signifie « ambiguïté verbale qui se veut humoristique » ou « mauvais calembour ». Bien des à-peu-près sont des équivoques.
L’aphorisme ou « fable express » est une phrase courte, une maxime qui prête à réfléchir. Elle peut être humoristique et fait alors souvent appel aux calembours. On le nomme de plus en plus souvent « euphorisme » (Lacroix, 2000 ; Gilder, 2009). « Il faut être compétent sans être con pédant »* « Les compétents raisonnent tandis que les cons pédants résonnent… tout comme les cons pétants. » « Mais, quand ils se regardent dans une glace, tous réfléchissent ! ». (VLG, Mes mets d’aphorismes à paraître aux éditions casserole la star)
Le Mot-valise est un néologisme inventé à base d’assemblage de contraction de plusieurs mots existants*Dès 1872, dans « de l’autre côté du miroir » (through the looking-glass), Lewis Caroll donna au mot-valise son nom de baptème : le « portmanteau word ». “Well, -SLITHY- means lithe and slimy. Lithe is the same as active. You see it’s like a portmanteau –there are two meanings packed up into one word” says Humpty-Dumpty”.S’agit-il encore de déshabiller les mots ? En effet, quoique en effets seulement… car, il arrive que Lewis Caroll raconte des salades ! Le mot « euphorisme » ci-dessus, contraction de « euphorie » et « aphorisme » en est un bon exemple (Lacroix, 2000 ; Gilder, 2009). Nous y reviendons.
Enfin, tout comme le calembour, toutes les formes citées sont des jeux de mots intentionnels ce qui les distingue du pataquès (fautes de liaisons ou, par extension, phrase remplie d’erreurs grossières* Selon le grammairien Domergue, une scène dans une loge à l’opéra de Paris à la fin du 19e siècle serait à l’origine du mot « pataquès ». Un homme distingué est assis derrière deux dames du peuple parées comme des marquises. Ramassant un éventail à ses pieds, notre homme s’adresse à l’une de ses voisines :« _ Pardon, madame ! Cet éventail serait-il à vous ? _ Non ! Il n’est point-z’-à moi ! Minaude-t-elle _Il est donc à vous, madame ! Dit-il en se tournant vers l’autre _ Non ! Il n’est pas-t’-à moi ! _ Mais alors, s’étonne l’homme du monde, si ce n’est point-z’-à vous et si ce n’est pas-t’-à vous, ma foi, je ne sais pas-t’à-qui-est-ce ? » (cité par Gagnière, 1997), du lapsus (prononcer accidentellement un mot pour un autre) et du kakemphaton (assemblage de sons inappropriés), tous involontaires, qui occasionnent l’amusement sans vraiment l’avoir provoqué.
4 Le néologisme
Le néologisme a la particularité d’introduire ou de diffuser un mot nouveau dans la langue par création ou par une utilisation dans un contexte inédit (nouvelle acception ou emprunt étranger). Le néologisme s’impose comme une quatrième forme distincte de jeu avec les mots, bien que souvent tout à la fois énigme, figure de style (rhétorique et/ou poétique) et humour langagier.
Il propose un défi de compréhension à l’interlocuteur et peut être considéré à ce titre comme une sorte d’énigme… en un mot. Dérivation, composition, « agglutinement », siglaison, emprunt,…, comme la rhétorique, la néologie fait appel à une série de processus qui jouent tantôt sur le sens, tantôt sur le son des mots. A ce titre, il peut être outil rhétorique d’éloquence ou de lyrisme poétique aux effets esthétiques plus ou moins réussis (Petit Larousse, 2009).
Ainsi en 1793, lors d’un discours à la Convention au sujet de la protection des inscriptions gallo-romaines estimée indispensable, l’évêque Grégoire crée le mot « vandalisme » dérivé de « Vandales » (Gagnière, 1997)* Cette peuplade germanique se répandit en Espagne et sur les côtes de la Méditerranée après avoir envahi et pillé la France en 407. L’Andalousie, au Sud de l’Espagne, vient de la « Vandalousie », terre des Vandales, comme la Catalogne vient de « Gotolonia », pays des Goths, au même titre que la Bourgogne fut le pays des Burgondes, l’Allemagne celui des Alamans (vs « Germany » celui des germains), la France était le pays des Francs et l’Angleterre, la terre des… Angles ! Le terme « francophonie » fut inventé en 1887 par le géologue Onésime Reclus (frère d’Elisée). En 1952, l’économiste et démographe Alfred Sauvy utilise pour la première fois le terme « Tiers-monde » par analogie au Tiers Etat* (L’Observateur n°118 du 14 août 1952 «… car enfin ce Tiers-monde ignoré, exploité, méprisé comme le Tiers Etat, veut, lui aussi, être quelque chose. » (Gagnière, 1997).L’à-peu-près « fier monde », titre d’un sketche de l’humoriste québecquois Sol (Marc Favreau), sera basé sur le néologisme « Tiers-monde » après qu’il soit devenu courant.
Depuis la Renaissance, certains auteurs fleurissent aussi leurs propos en français de nouveaux mots issus du latin et du grec. En 1761, Jean-Jacques Rousseau donne à « prolétaire » son sens actuel au départ de « proletarius » et François Rabelais tente mille et un néologismes ludiques à partir de 1532. Plusieurs dizaines d’entre eux se pérenniseront : atome, cannibale, catastrophe, équilatéral, encyclopédie, olympiade ou parasite, pour n’en citer que quelques uns parmi les plus courants. Bien entendu, la plupart des mots français sont nés de parents inconnus.
Les langues anglaises et allemandes sont particulièrement promptes à créer des mots-valises. Certains d’entre-eux comme brunch (breakfast + lunch), fanzine (fan + magazine), cheesburger (cheese + hamburger) ou motel (motorist + hostel) seront adoptés en français par la suite. Mais le français crée également les siens : adulescent, bureautique, héliport, modem, publipostage, tigron, etc… sans compter de nombreuses marques déposées qui finissent par avoir « droit de cité » : caméscope, velcro, abribus, nescafé, etc…
Toutes les langues vivantes s’adaptent, évoluent et s’enrichissent avec le temps, mais certaines ont une plasticité (réceptivité aux néologismes, perméabilité aux emprunts) plus grande que d’autres… La langue française semble moins perméable aux régionalismes et idiomes étrangers que l’anglais ou les langues germaniques par exemple. Apparu vers le 15e siècle, le français moderne s’est largement fixé grammaticalement et partiellement lexicalement dès la fin du 16e siècle. Après trois siècles d’expansion, sa qualité de langue littéraire et plus encore internationale (diplomatique et scientifique) paraît aujourd’hui en perte de vitesse notamment par rapport à l’anglais (et, plus récemment, l’allemand ou le mandarin). Elle continue heureusement à être enrichie chaque année par l’officialisation de quelques uns de ses nombreux régionalismes francophones (suisse roman, québécois – tel « courriel » – et autres Belgicismes de bon aloi*)
Zwanze, waterzooi et bien d’autres belgicismes figurent désormais au dictionnaire petit Larousse, mais la commande belge « un pain français, deux couques à la crème, deux pistolets et une gosette, s’il vous plait » demeure un classique à tenter dans toute boulangerie française.
Enfin, le néologisme peut être une création jubilatoire aux effets de surprise souvent cocasses qu’ils soient involontaires (kakemphatons) ou issus d’à-peu-près ou mots-valises intentionnels (paronomases flirtant avec le calembour). C’est sur ce versent humoristique que le français répond présent !
En 1999, Gérard Gorcy dresse une liste des auteurs français affectionnant les mots-valises : Rabelais, Madame de Sévigné (bavardiner) , Balzac (patrouillotisme et mélancolisé), Rostand (ridicoculiser), Céline (écrivaineux) et Ionesco (cordoléances) y voisinent avec Baudelaire, Hugo, Rimbaud, Laforgue, Jarry, Montherlant, Audiberti, Prévert, Lacan, Queneau, Etiemble et Vian. Alain Créhange (2006) nous invite à partager sa contagieuse passion par une recette botanique : « Prenez un mot coupez lui la queue, c’est ce qu’on appelle une apocope. Prenez un autre mot, coupez lui la tête, cette fois il s’agit d’une aphérèse. Rassemblez les morceaux qui restent, en tâchant de faire coïncider les syllabes l’une avec l’autre. Si la greffe prend et qu’un nouveau mot surgit de ce collage, c’est gagné : vous avez créé un mot-valise !» Adepte doué, Gilder (2009) propose ainsi « gondoléance », « Ubureaucratie » ou « célébriété »… A vous de jouer !*Après les spécialistes bien nommés : Finkielkraut durant les années 80 et Chiflet durant les années 90, qui avaient assurément non seulement des chiffres, mais aussi des lettres, pour les années « nimbus 2000 », les mots-valises burlesques ont probablement trouvé une niche de « bibliotheckel » qui a du chien : celle de « l’anarchiviste » Alain Créhange, « hippoperaverbiste » autoproclamé. Doté lui aussi d’un sacré bagage verbal, Créhange, crée, « h » les mots, les coupe d’un zèle angel… hic ! Il nous propose « Waterpoloo » : jeu de ballon où les Anglais finissent toujours par battre les français. Proposition alternative : Jeu de balles en une morne pleine très pluvieuse qui consiste pour les français à chercher des crosses aux britanniques de manière cavalière, avant de se faire battre de manière hippique par les « woodstocks » de ces derniers. Autre perle de Créhange : le « castrafiore » : homme qui s’écrie : « ciel, mes bijoux ! » ou le « whistiti » : jeu de cartes ou les enjeux se font en monnaie de singe. Enfin, savoureuse démarche d’ironiste pataphysicien au troisième degré, il se moque des joueurs de mots en les paraphrasant en insérant l’un ou l’autre mot-valise de son invention : « En explorant le monde intérieur des rêverigérateurs, on s’aventure dans le subconscient des cuisines. » (Georges Perec) ; « Près de toi, rien de moi ne restera, et ton amour me fit comme un séparadrap » (Victor Urgo); “l’autobidacte qui, dans la vie, est parti de zéro pour n’arriver à rien dans l’existence n’a de merci à dire à personne » (Pierre Dac).
Partie II : L’empreinte culturelle de l’humour et des jeux de mots
Bien que l’humour soit fort heureusement universel, chaque culture a le sien (Timbal-duclaux, 2008), y compris au niveau des jeux impliquant le langage. Ces spécialités ne sont pas dues au hasard… au contraire « la spécificité nationale de l’outil langagier peut conditionner certaines formes d’humour, qui sont de ce fait intraduisibles » (Bergson, 1900 ; Ruggero, 2007). Passons en revue quelques exemples qu’il faut relativiser sous peine de flirter avec la caricature…
Parmi les langues indo-européennes, les langues slaves (russe, polonais, bulgare, serbo-croate,…) joueraient sur une très grande tessiture auditive tant liée à leur structure qu’à la prononciation et aux accents toniques au contraire des langues romanes (français, espagnol, italien, portugais, roumain,…) couvrant des amplitudes sonores moins variées, tout particulièrement le Français, forme la plus altérée par rapport au latin originel (Walter, 1988); cet avantage leur met le pied à l’étrier pour l’apprentissage des langues étrangères là où nous baissons souvent trop vite pavillon * « Les Français croient qu’ils parlent bien le français parce qu’ils ne parlent aucune langue étrangère » confirme Tristan Bernard (in Gest, 2010). L’humour slave joue sur la musicalité de la langue pour exprimer avec un certain lyrisme mélancolique désabusé, une impuissance lucide teintée de malice qui se moque du pouvoir comme de soi. (Timbal-Duclaux, 2007).
Avec 80.000 mots usuels (près de 500.000 pour le champ lexical total) la langue anglaise nourrie tant par des racines germaniques que franco-normandes* Créant une langue très nuancée. Par exemple, « sheep » est le mouton sur sa prairie (germanique), il devient « mutton » (français) une fois dans l’assiette. De même pour « cow » et « beef » (Flutsch, Groos et Délèze, 2009). parait de loin la plus riche en vocabulaire courant spécifique. Très largement au-delà de l’usage moyen qui en est fait au niveau international. En conséquence elle s’avère peu polysémique et donc relativement impropre aux homonymes parfaits et autres calembours même si de grands auteurs tels Shakespeare s’y adonnent. Assez imperméable aux jeux de mots oraux, l’humour anglais s’oriente plutôt vers l’absurde et le comique visuel de situations, plus universels car peu basés sur le langage. L’efficacité de l’humour anglais est basée sur une triade magique : le « self-control », flegme britannique et son petit côté « pince-sans-rire », le « understatement » ou litote de sous-exagération (« elle est complètement folle » devient « elle est légèrement dérangée »)* Dans le « Père Noël est une ordure », les répliques « Elle n’est pas moche, elle a un « physique difficile » ou « c’est cela oui… mais c’est une serpillière…ah non il y a deux trous pour les bras » du flegmatique Thierry Lhermite copient ces ressorts humoristiques avec succès, enfin et surtout l’irrésistible « non sense », l’absurde proprement dit. De Swift aux Monty Pythons en passant par Lewis Caroll, il fait merveille ! (Benayoun, 1977)
L’humour américain repose également sur l’absurde, mais cette fois au contraire dans l’exagération, le spectacle du « trop » (c’est « too much ») tant dans les gestes que dans les mots. Avec beaucoup de chance, l’hyperbole confine au burlesque de haut vol. C’est souvent le cas chez les Marx Brothers, Groucho le verbeux et Harpo le muet, notamment, sont de sacrés éléphants dans un magasin de porcelaine*… *Poursuivie par Harpo, la jeune Norma Jean Baker se réfugie chez Groucho en s’écriant : « Un homme me suit !» Sseule réplique de Marilyn dans « Love Happy » l’un de ses tous premiers films tourné en 1949 avec les Marx Brothers) _ « Un seul ? » lui répond Groucho Marx , goguenard, en haussant les sourcils. D’autres répliques « Les hommes sont des femmes comme les autres », « Je vous cèderais bien ma place, mais elle déjà occupée », « j’ai passé une excellente soirée, mais ce n’était pas celle-ci » (cité dans Gest, 2010) sont à l’avenant. « Je suis marxiste tendance Groucho » affirmait malicieusement l’académicien Roger Caillois (auteur « des jeux et des hommes », 1958).
Sans vraiment jouer sur les mots le versant langagier du non-sens américain gagne encore en intensité lorsque s’y mêle l’autodérision très poussée de l’humour juif, comme l’illustre les perles de Woody Allen : « un exemple de contraception verbale ? J’ai demandé à une femme de coucher avec moi et elle m’a dit non. » ; « A force d’écouter Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne » ou « Je n’ai pas peur de mourir mais je préfère ne pas être là quand cela arrivera » (Bailly, 2006). L’art de l’aphorisme humoristique que Grégoire Lacroix (2000) appelle « euphorisme », est cependant universel.
Passés expert en néologie, l’Allemand et bien plus encore le Néerlandais qui en est issu compensent quant à eux la moindre variété de leur vocabulaire. Ils adoptent régulièrement des mots d’autres langues et, plus encore, créent des mots composés à base de mots existants. Parfois le résultat est cocasse ou interminable comme le célèbre mot : « hottentotententententoonstellingen » : qui signifie en néerlandais « des expositions de tentes d’hottentots » *Comme les bochimans du Kalahari, ce peuple vivant en Afrique du Sud et en Namibie au Nord du fleuve Orange exprime de nombreux phonèmes par des claquements de langues. Au 18e siècle, les premiers colonisateurs hollandais les nommèrent les « bégayeurs » qui se dit « hottentoten » en néerlandais (Gagnière, 1997). Ces néologismes « agglutinés », sont de véritables mots-valises « germes à niques ». Les flamands en sont friands et l’ancien premier ministre belge Marc Eyskens en est l’un des spécialistes actuels. Outre leur plasticité et leur perméabilité, les temps primitifs et les déclinaisons allemandes complexifient et enrichissent également ces langues.
Enfin, à partir des années 1980, les « grammairiens buissonniers » Jean-Loup Chiflet (1985) et Jean-Pierre Vandenberghe (1987) ainsi qu’une importante génération d’humoristes d’origine arabe ou juive d’Afrique du Nord sur lesquels nous reviendrons, jouent notamment sur les incompréhensions culturelles et les traductions littérales d’expressions idiomatiques. Ils créent ainsi des formes d’humour « ethnique » ou langagier « interculturel » loin de leurs ressorts classiques (Mongin, 2006).
Les jeux de mots français, un trait culturel longtemps mal assumé
Le français joue avec ses maux : lis tes ratures, françoise !
Plus évolué (ou altéré) que l’italien et plus encore que le sarde restés les plus proches du latin originel (Walter, 1988), la langue française se prête particulièrement bien aux calembours en tous genres par la profusion de ses homonymes, paronymes et homophones. « Homonyme » signifiait d’ailleurs au 16e siècle « jeux de mots » (Petit Larousse des jeux, 2005)
En effet, le français compense son champ lexical (35.000 usuels) deux fois moins large que l’anglais et ses sons (phonèmes) moins nombreux par rapport aux autres langues romanes et surtout aux langues slaves, par une polysémie nettement plus prononcée. Chaque mot prend petit à petit des usages et des significations supplémentaires différentes constituant, avec le temps, comme nous l’avons vu, une véritable lasagne sémantique. Et il en est de même pour les verbes dont le sens change fréquemment en fonction de l’objet (Par ex : prêter de l’argent ou une intention) (Gilder, 2009)
La linguiste Druetta Ruggero (2007) donne cinq explications plus précises au foisonnement particulier des jeux de mots en français.
1° La palette de sons est moins grande que dans d’autres langues. Un même son peut donc souvent s’orthographier de différentes manières ce qui explique les nombreux paronymes et homophones de la langue française. Calembours, charades phonétiques *Au contraire, les charades italiennes bien que très prisées sont toujours basée sur des homonymes parfaits non sur les paronymes et homophones (Serra, 2000 citée dans Ruggero, 2007) et dictées à la Prosper Mérimée, Bernard Pivot ou Liliane Bellefroid, même combat !
2° De nombreux homophones sont souvent réunis à l’usage des élèves dans un but pédagogique (cent, sans, s’en, je sens, c’en, sang ; ver, vers, vert, vair, verre,…). La conscience de ces classes de mots ambiguë prédestine d’autant plus aux calembours.
3° Les unités accentuelles, la prononciation (ou la prosodie) de la phrase n’utilise pas d’accent de mot (comme en anglais par exemple) mais regroupe des mots en unités accentuées. Par exemple « il est ouvert » ou « il est tout vert », « un vieil armagnac » ou « un vieillard maniaque ». Cette ambiguïté au moment du décodage facilite elle aussi de nouveaux calembours. C’est également l’un des ressorts principaux des vers holorimes (cf. supra).
4° L’utilisation fréquente de consonnes de liaison peut permettre d’autres calembours encore… C’est par exemple le cas du « z » de liaison prononcé dans « Ah ! thésaurisons ! – Vers tes horizons/ Alaska, filons » (Allais)
Cette tendance du français peut inciter à « faire des cuirs », sortes de pataquès, liaisons superflues voire vicieuses qui écorchent l’oreille… « en voilà-t’-assez »… « j’en reprendrais bien-z’-un peu plus » ou s’approchent du calembour ou du lapsus : « voilà nos deux z’héros ». (Gagnière, 1997). *L’eussiez vous crû, certains cuirs ont la peau dure même si « on ne peut pas naître et avoir tété ». Même exprimé en haine et hanté, ce dicton reste exact, français et d’autant plus savoureux (VLG, à paraître aux éditions « casserole la star »).
5° Enfin, les conventions récentes d’écriture comme la neutralisation de son vocaux centraux voire l’orthographe des SMS (textos) et blogs rendent encore plus souple les prononciations : 2m1 (demain) j1vite (j’invite) chuis 2 paris etc… S’amuser à composer des phrases basées que sur des lettres (et au besoin des chiffres) prononcées en enfilade est un jeu d’enfant aussi prisé qu’ancestral: GPTAQBC . BBACC2TT etc. On en trouve trace dès la fin du Moyen-âge, à l’époque des rébus alpha-numériques. Alphonse Allais (1854-1905) y consacrera un petit ouvrage : l’ODSFMR et Louise de Vilmorin (1902-1969) en était adepte (Gilder , 2009). Notons également que les sigles devenus acronymes (RATP, PTT, RER, SMIC, SNCF, CM1, CRS, ENA, CNRS, CAF, SDF…) sont une véritable institution en France depuis belles lurettes qui inspire ponctuellement les calembourdiers… « Putain qu’il est blême, mon HLM ! Et la môme du huitième, le hasch, elle aime ! » (Renaud, Dans mon HLM, album Marche à l’ombre, 1980). Mais là encore, avec ses tétragrammes sacrés I.N.R.I. et YHWH, c’est la bible qui a commencé…. Par ailleurs, certains sigles venus de langues étrangères rentrent également officiellement dans la langue… LASER, SIDA, ADN, OGM,…
Les nombreux homonymes et paronymes de la langue française qui font le bonheur de nos calembourdiers ainsi que nos emprunts croissants notamment à l’anglais (les mots franglais*)* L’écrivain et universitaire René Etiemble est l’inventeur du mot. Il publia en 1964 un ouvrage intitulé « Parlez-vous franglais ? » pour protester contre l’envahissement progressif du français par les termes anglo-saxons (Gagnière, 1997) dénotent à la fois une moindre richesse lexicale initiale, une plus faible plasticité et un appauvrissement du langage quotidien. Constatant également le déclin général de la rhétorique, amer, Claude Gagnière (1997) conclut : « notre pauvre langue française malmenée, dédaignée, méprisée, subit les assauts permanents d’un vocabulaire international, l’agression d’onomatopées venues de la bande dessinée, l’invasion de mots passe-partout – super, hyper, extra, génial, galère* « les mots qui font fortune appauvrissent la langue » ironisait déjà Sacha Guitry (Bailly, 2006) – et tend à se réduire, pour une partie de plus en plus grande de la population, à un vocabulaire de base de mille mots servant à exprimer de vagues besoins ou des sentiments primaires ». Les temps et différentes formes verbales ainsi que toute la grammaire française s’avèrent riches et complexes à souhait, mais l’usage courant des temps passés (imparfait du subjonctif etc…) semble désormais appartenir… au temps passé.*Pour un « french lover » même « Le verbe aimer apparaît bien difficile à conjuguer : son passé n’est pas simple et pour tout dire imparfait, son présent est indicatif et son futur très conditionnel »
Si pas unanimement rejetés, les jeux de mots – le calembour particulièrement – semblent en tout cas mal assumés dans la littérature française…
Montaigne (1533-1592) jugera l’œuvre de Rabelais et son cortège de jeux de mots « simplement plaisante », ce qui ne l’a pas empêché d’agrémenter ses propres essais de plus d’une centaine de calembours en tous genres (Tronquard ; Stapfer, 1976). Molière (1622-1673) dédaigne les calembours dont il parsème sont œuvre qu’il a « ramassés parmi les boues des Halles et de la place Maubert » (Gagnière, 1997). Les épigrammes de Voltaire (1694-1778) regorgent de mots d’esprit ironiques, mais les jeux de mots sont néanmoins pour lui « l’esprit de ceux qui n’en ont pas » (Varenne, 1990). Si Hugo (1802-1885) définit le calembour comme « la fiente de l’esprit qui vole », le « misérable » personnage s’empresse d’ajouter : « loin de moi l’insulte du calembour ! Je l’honore dans la proportion de ses mérites ». Fort heureusement… car sans doute plus que toute autre, l’œuvre de Hugo en est truffée ! * Druetta Ruggero (2007) souligne que « la fente de l’esprit qui viole » est par ailleurs une fort jolie contrepèterie qui pourrait passer pour un second degré délibéré, très révélateur et bien digne du maître.
L’abbé Jacques Delille (1738-1813) lui règle son compte en vers… « Le Calembour, enfant gâté / Du mauvais goût et de l’oisiveté / Qui va guettant, dans ses discours baroques / De nos jargons nouveaux les termes équivoques, / Et, se jouant des phrases et des mots, / D’un terme obscur fait tout l’esprit des sots. » (cité dans Gagnière, 1997)
D’autres critiquent ouvertement les rares héros, hérauts des jeux de mots, méconnus mais trop connu à leur goût: « le Marquis de Bièvre se fit l’habitude des jeux de mots qu’on appelle aujourd’hui calembourgs, qu’on désignait du temps de Molière sous le nom de Turlupinades et il poussa cette manie aussi loin qu’elle peut aller, puisqu’il fit imprimer une brochure toute remplie de ces mauvaises plaisanteries qu’on se contente ordinairement de dire. Sa réputation à cet égard est devenue populaire, ce dont il est difficile de le féliciter. » (Petitot, 1817, cité dans Ruggero, 2007)
Même si Bergson, dans le chapitre consacré au « comique des mots » de son essai fondateur sur le rire (1900), règle encore son compte au calembour, « le moins estimable des jeux de mots », on assiste depuis la fin du 19e siècle à un basculement : avec les incohérents, surréalistes, pataphysiciens, hussards, oulipiens,…, et une kyrielle d’humoristes langagier, les calembours en français apparaissent aujourd’hui décomplexés. Cependant comment expliquer ces longs siècles de rejet ?
La langue française, idiome roman de Paris fut un instrument de la centralisation capétienne, encore renforcée sous Louis XIV. Les langues régionales maltraitées, les accents et différentes prononciations régionales du français niées, la langue française incarne autant le centralisme parisien qu’un chauvinisme exacerbé. Pourtant « un mot sur cinq du français parlé diffère objectivement selon les régions de France où on le pratique… On ne peut pas dire LE français, mais les français… » conclut aujourd’hui encore Henriette Walter (2005). Le français deviendra ensuite la première langue intellectuelle, aristocratique et scientifique internationale jusqu’au milieu du siècle dernier. « Le roi de France est le plus puissant prince d’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne, son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il tire de la vanité de ses sujets plus inépuisable que les mines. » écrivait déjà avec humour Montesquieu dans les Lettres persanes (1721). Le mythe de l’unicité de la langue française et plus encore de sa rigueur et de sa clarté nourrira ensuite le mythe républicain de l’universalité des valeurs françaises. Il y a lieu d’en être fier et pas question donc de s’en moquer. Et jouer avec les ambiguïtés de la langue française c’est précisément mettre en évidence ses faiblesses (Ruggero, 2007). * La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’est-elle portée et versée plus aux nues, que l’universelle ou « onuverselle » de 1949 ?
Les jeux de mots, l’essence de l’humour français
Contrairement à la plupart des cultures humoristiques (cf. supra) * y compris l’humour de la « surréaliste belgitude» sur lequel nous reviendrons une fois arrivés au 20e siècle ou « arrivés au 20e siècle hein une fois. Non peut être !? » , la plupart du temps, l’humour français (parisien pour être plus exact) n’est pas basé sur l’autodérision.
« Notre comique se nourrit de satire, de grivoiserie et… de jeux de langage », écrit lucidement Louis Timbal-Duclaux (2008) en précisant «et la satire est agressive contre un adversaire qu’on tourne en ridicule ».
Marcel Pagnol (cité dans Timbal-Duclaux, 2008) définit deux types de rire associables : le rire sain qui exprime l’euphorie du rieur qui se sent supérieur aux autres et aux événements et le rire négatif, cruel, blessant, tout entier centré sur l’infériorité de l’autre. Le rire « français » au mieux cumulerait les deux sous forme d’un « grand rire » façon Rabelais. Il s’agit en fait de différentes formes d’ironie ou de dérision (rire d’exclusion ou de négation) mais pas d’autodérision* Dans un article récent, « rire des autres en bloc, le cas des blagues belges », Claude Javeau, établit cette distinction exclusion-négation. « Les Belges sont simplement les cibles d’une stigmatisation ludique dans la mesure où ils sont considérés comme une -mauvaise copie- des français ». Dans ce cas, selon l’auteur, il n’y a pas négation et l’exclusion se mue même en inclusion afin d’éviter l’autodérision (Revue des sciences sociales, 2011). L’humour est plus intellectuel, il exige de la distance par rapport à soi-même, car il s’agit de rire de soi ou en tout cas de s’inclure dans l’objet de sa moquerie !
Les jeux de mots permettent notamment d’enrober les moqueries et les grivoiseries typiquement gauloises pour qu’elles apparaissent moins crues. Intraduisibles et incompréhensibles aux allochtones, ces petits défis nécessitent et renforcent aussi une connivence, une identité culturelle et provoquent parfois un rire d’exclusion à l’instar des « calembours mouillés d’acide » dénoncés par Aznavour (dans la chanson « Comme ils disent »)
Pleinement assumés ludiquement pour eux-mêmes, lorsqu’ils ne sont pas porteurs de message ironique, seuls les jeux de mots sauvent pourtant l’humour français* Et peut-être le rire interethnique des humoristes juifs et arabes d’Afrique du Nord, lorsqu’il parvient à éviter les dérives (Dieudonné) de la satire et du « comique sexuel », écrit Mongin dans « De quoi rions-nous ? » (2010)
Faire un jeu de mots, c’est alors aimer sa langue jusqu’à la tordre et la mordre.
Mais oser se moquer de soi même à travers les ambiguïtés et faiblesses de sa propre langue, ce n’est pas l’abîmer c’est la grandir et grandir à travers elle.
Comme nous le rappelle Freud par son « analyse du mot d’esprit », dans le rire, on est toujours trois. Celui qui fait rire, celui qui rit et celui ou ce dont on rit (cité dans Fize, 2009). Idéalement, dans l’humour langagier, les trois ne font qu’un. Lorsqu’il n’est pas seul, en fonction de la qualité de son public, l’humoriste vivra un grand moment de solitude ou d’autodérision partagée. Le français où qu’on le parle ou qu’on l’écrive favorise les jeux de mots. Profitons-en !
Conclusions
L’apparition des jeux de mots sont liés au processus d’hominisation et à l’apparition du langage au paléolithique et aux interrogations et énigmes de la nature. Durant l’Antiquité, les cultures égyptienne, hébraïque, grecque et latine les favorisent déjà notamment via la poésie dès la haute antiquité, puis aussi la rhétorique dès la Grèce antique. Le christianisme les utilise mais les assume mal.
Le jeu de mots joue sur les sons et/ ou sur les sens des mots du langage. Au sens strict, il a pour objectif premier d’amuser ou de faire rire (par humour ou par ironie langagière). Le jeu de mots est un jeu d’esprit, il constitue un défi intellectuel plus ou moins grand de compréhension lié à la maîtrise suffisante de la langue véhiculaire. A des degrés divers, amusement, estime de soi et connivence en sont les récompenses pour le « jongleur de mots » et son public.
Les jeux d’énigmes ont une proximité naturelle avec les jeux de mots. En effet, outre le défi occasionné, de nombreux jeux d’énigmes nécessitent de jouer avec les mots voire de faire ou de comprendre un jeu de mot pour être solutionnés (le défi est alors double). La rhétorique (l’art du langage) et plus encore la poésie nécessitent de jouer avec les mots dans un but esthétique et/ ou de séduction (convaincre). La versification poétique (rimes homonymes,…) et certaines figures de styles rhétoriques (allitération, antanaclase, paronomase,…) occasionnent des jeux de mots identiques à ceux de l’humour (ou de l’ironie) langagier.
Ne pas prendre l’humour ou les jeux au sérieux peut sembler logique. Et, de même, tenter de les comprendre, badin ou sans importance. Ou, comme le suggère Desproges, n’y a-t-il quelque sacrilège à s’y intéresser au risque de les priver de leur part de mystère, de restreindre leur liberté ou leur gratuité ? Serait-ce de toute manière en pure perte, leur vérité se dérobant à mesure qu’on essaie de la saisir !? Le jeu et l’humour s’affirment en tout cas objets de recherche à part entière depuis moins d’un siècle. A fortiori, les jeux de mots et leur humour langagier n’y font pas exception.
S’ils se laissent aller fréquemment au plaisir des jeux de mots, la plupart des grands auteurs de la littérature française affectent en tout cas de ne pas les assumer parfaitement. Les jeux de mots sont de fait « un maux, des mots », or il est sacrilège de se moquer des imperfections de sa propre langue ? (Ruggero, 2007). L’humour langagier doit un peu à l’impertinence (humour de résistance) et beaucoup à l’autodérision. Cette expression de liberté fut longtemps condamnée à la marginalité voire la clandestinité. Aux confins des 19e et 20e siècles, un renversement à lieu. Est-ce en réaction face au romantisme, au nationalisme, au militarisme ? Ou un effet domino du jeu qui engloutit l’art ? L’humour langagier apparaît décomplexé et les profusions d’homonymes et paronymes de la langue française sont aujourd’hui considérés comme autant de richesses au même titre que sa complexité grammaticale.
L’histoire des jongleurs de mots en langue française nécessiterait l’exploration minutieuse de l’œuvre de milliers d’auteurs depuis l’époque carolingienne où ce patois roman de Paris s’est différencié du latin jusqu’à aujourd’hui. Tous les poètes et auteurs littéraires connus et méconnus, mais également les rhéteurs, orateurs ou prédicateurs, et plus encore les bouffons et humoristes sont potentiellement concernés. Nous nous contenterons d’un survol.
Les jeux de mots ne sont pas propres au français, mais la structure de la langue plus que la richesse de son vocabulaire facilite les calembours. Les humoristes s’en délectent plus encore que bouffons et poètes. L’ironie et la satire, mais aussi l’humour sont apparus avec la poésie satirique médiévale et le théâtre comique à partir du 13e siècle, à l’avènement de la bourgeoisie. Le calembour (et autres jeux de mots) est cet humour qui a le langage du narrateur et de son public pour objet. Avec ses nombreuses ambiguïtés, faiblesses et imperfections, la langue française en est désormais une victime à la fois privilégiée et consentante; sauvant ainsi les Français et les francophones de la vanité.* Autrement dit, voici aussitôt le tautogramme à toto trop tôt autosatisfait : « Enfants phares, bouffons et farceurs du Français font fondre la fatuité française et francophone en fanfare ! »
Michel Van Langendonckt, président de LUDO asbl
Bibliographie
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Annexe « oulipienne »: hommage aux bonnets d’Anna Graham
Ponctuons ce numéro spécial « jeux de mots » qui fait la part belle aux anagrammes par une annexe qui leur est consacrée… D’après le Petit Larousse des jeux (2005), l’album d’Anna Graham est « un divertissement consistant à composer des phrases drôles comportant deux mots formés avec les mêmes lettres. » Elargissons cet exercice jouissif notamment en compagnie de Jacques Perry-Salkow dans la plus pure tradition de l’OUvroir de LIttérature Potentielle… (cf. BENABOU, 2009 et Oulipo, la Littérature potentielle, Idées/Gallimard, Paris,1973 ainsi que OuLiPo, atlas de litérature potentielle, Gallimard, Paris, 1980)
Voici tout d’abord quelques « anagrammes pour sourire et rêver » (Perry-Salkow, 2009), remises en perspective historique par nos soins…
Avec « l’Homo neanderthalensis », « le malin hante nos hordes. » « et ce philanthrope », « le pithécanthrope » !
Voici un « exode de l’Inde à l’Iran, roman de grâce » : « Alexandre le Grand, roi de Macédoine !», « la reine Néfertiti » « et la terre infinie »
« Vercingétorix, roi des Gaules », « digne vers toi, glorieux César »,
et « un atlas d’Histoire » : « Attila, roi des Huns !»
« Les chevaliers de la Table Ronde » et leur « belle vie de héros dans la clarté »
Bien avant « l’amiral Nelson » qui « sillonna la mer », « Christophe Colomb, amiral de la mer Océane », « chercha l’ombre de la misaine de Marco Polo ».
« Marguerite de Navarre », « ma reine au regard vert » puis, « tel mourir, le mariage était devoir de sang », « Marguerite de Valois dite la reine Margot. »
« Versailles » « ville seras » et « Marie-Antoinette d’Autriche », « cette amie, hérita du Trianon ». Quant à « la révolution française » « un véto corse la finira » et « Monsieur de Talleyrand » ? « Il sera le démon du tyran !»
« La crise économique » voilà « le scénario comique ». « De ce doigt conspirateur » naît le « Groupe d’Action Directe ».
« Santiago chute. Le loup règne » : «Le général Augusto Pinochet ».
« A Rosa Parks, à ce bien humble destin », quand « le président Barack Hussein Obama » libèrera-t-il « la prison de Guantanamo » de ses « anges pour la damnation » ?
Alors que « la princesse Stéphanie » reste « hantée par les piscines »,
« Carla Bruni, première dame de France » est « reine admirable, ce parfum d’errance… ». « Fan zélé de Carla Bruni, tapis royal, prince des kiosques »,
voici « Nicolas Sarkozy, président de la République française ».
« Passez-lui ce look de CRS en Ray-Ban qui le rend si parfait »,
« son air d’cocker, le baratin perfide, il y en a plus qu’assez ! », le voici digne
« de l’abruti qui jardine et déracine un peuple philosophe » : « Hu Jintao, président de la République populaire de Chine ».
Ah… j’expire ! Très franchouillard, Perry-Salkow préfère se moquer de Shakespeare que de Molière… « Anagrams »… « ars magna » dear « William Shakespeare », « a silk hem, a wise pearl » : « Etre ou ne pas être, telle est la question. » « Oui et la poser n’est que vanité orale. »
« En dévorant les âmes », « les amants de Vérone », « Roméo Montaigu et Juliette Capulet » :
_ « Ecoute, je l’imagine, la mort peut tout » _ « J’aime trop ta gueule _ Et moi, ton cul. »
Enfin, Perry-Salkow (2009) égratigne la religion chrétienne, se souvenant que la Kabbale prêtait des vertus prophétiques aux anagrammes et par ce moyen décoda dans la Bible mille et uns enseignements ésotériques…
« Bernadette Soubirous »… « très beau ou très bidon ? »
Mais cette première association ne fait pas partie des plus Lourdes…
« Je suis le Seigneur ton Dieu » devient « je souris et déguise l’ennui »
« Tu n’invoqueras pas le nom de Dieu en vain »… « Ne taquine pas le vin suave du noir démon »
« Souviens-toi du jour de repos pour le sanctifier »… « du jour si novateur où, loir dépressif, tu pionces »
« Tu ne commettras point d’adultère », « mais compte-t-on la tendre turlute ? »
« Tu ne feras pas de faux témoignage » : « pour ta santé engage des maffieux. »
Finalement, la réconciliation vient : pour « aimez-vous les uns les autres », il propose :
« tous, sans mesure, suivez le la ». Quant à « aimer » « Marie » ? Il s’écrie vive le « visage inaltéré » de « La Saint Vierge !»
A notre tour de nous amusez… eh oui, le petit concours paru dans le dernier numéro de l’artichouette n’était autre qu’un exercice oulipien similaire: constituer un texte suivi avec essentiellement un enchaînement d’un maximum d’anagrammes… « Selon l’aumônier d’une roumaine, la gitane a volé la tagine d’un marocain, ce macaroni oriental, relation au portique du tropique ». 5 paires d’anagrammes… Peut mieux faire ? Certes…
C’est Juste un sujet…
Le marteau amateur de son aspirant partisan tenta une conique coquine. Veine envie : plus inégal que génial, le manque d’audace du cadeau provoqua une stupide dispute jusqu’à désirer résider dans un bercail de calibre, acheter un hectare, recourir au courrier pour abonner la baronne et taxer l’extra. Lors de la jonction à son conjoint, l’étrange gérante à la malice d’une limace dût croiser un sorcier pour enfin jeter par rejet l’écart tracé tenant en respect le spectre de son aigle peu agile et plus glaire qu’argile. Le sentira-t-elle enfin taniser sa voix, sériant les seize moyens de satiner son tarsien qu’il résinât ensuite et lui serinât : « tu entrais transie, tsarine », et finalement insérât : « mais les riantes que tu rentais arisent tes traînes de ratines » ? Moralité : originel péché de religion, telle la seringue du seigneur, la sainte tisane du soigneur vaut guérison : enfin le couple copule sans coulpe, mais, pour l’éviction de la nocivité, rien de tel que d’imaginer une migraine !
Extrait « les tsars dînent à l’huile » A paraître en temps improbables aux éditions « têtes d’émules pesantes & bonnets d’ânes à grammes »
Ce petit texte surréaliste qui raconte la débandade d’un couple qui finit par se reformer comporte 1×16 + 1 x 3 + 29 x 2 soient 77 anagrammes ! VLG
Enfin, voici quelques jolis pseudonymes officiels :
François Rabelais… Alcofribas Nasier
Paul Verlaine… Pauvre Lélian
Boris Vian… Bison ravi
Antoine Blondin… Benoit l’anodin
Raymond Queneau… Rauque anonyme
Crayencour… Yourcenar
Ou dont les propriétaires n’ont pas à rougir…
Pierre de Ronsard… Rose de Pindare
Charles Baudelaire… Chaleur de la braise
Amélie Nothomb… On lit ma bohème
Valérie Lemercier… Rire çà émerveille !
Que vous croyiez ou non à l’effet prophétique des anagrammes nominales, à vous de jouer… pourquoi pas avec vos nom et prénom !
(Illustration : Dessin de Selçuk en couverture de l’excellent livre « Les jongleurs de mots » de Fabrice Delbourg paru en 2008 chez « Ecriture »)