Ecrit par Renaud Keymeulen

 

Responsable d’une ludothèque ou animateur de moments ludiques, chaque jour nous cherchons à expliquer autrement une règle ou à aider un enfant ou un adulte à jouer autrement à un jeu qui « ne serait pas pour lui ».

Ces problématiques sont complexes nous n’allons donc pas essayer d’y répondre mais juste d’apporter une pierre à la réflexion. Pour cela, nous nous appuierons sur la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner.

  1. Petit rappel sur la théorie des intelligences multiples.

Psychologue cognitiviste, professeur de neurologie et en éducation dans plusieurs universités prestigieuses, c’est à Howard Gardner que nous devons la théorie des intelligences multiples. Il a commencé ses recherches sur le potentiel humain en 1979. Son parcours lui a fait percevoir l’infinie diversité des capacités humaines et l’a amené à ne plus concevoir la mesure de l’intelligence d’une personne en dehors de son environnement. (Keymeulen : 2016)

Quelqu’un d’intelligent selon cette théorie est une personne qui aura la capacité et les outils pour traiter efficacement des informations. Un enfant qui a des difficultés à faire des liens logiques ou des problèmes de concentration, que va-t-il faire pour comprendre la dynamique du jeu et s’en souvenir ?

A ce jour, Gardner a validé 8 intelligences. Chacune d’entre elles se caractérise par de nombreuses capacités que l’individu peut développer tout au long de sa vie. La plupart du temps, on n’en possède pas toutes les facettes.

Nous avons classé les 8 intelligences au sein de 4 catégories : les intelligences scolaires, d’actions, méthodologiques et environnementales. Afin de présenter les différentes intelligences nous nous basons sur les ouvrages d’ Hourst et Plan (2008 : 74-96) et de Keymeulen (2013 : 29-37).

 

1.1 Les intelligences scolaires

Les intelligences scolaires regroupent les intelligences linguistique et logico-mathématique qui sont principalement utilisées par le monde de l’école et dans la société pour traiter les informations.


intelligence linguistiqueL’intelligence linguistique :
les apprenants et les travailleurs qui ont cette intelligence aiment utiliser le langage, lire, parler, débattre, faire de la poésie (sous toutes ses formes), faire des mots croisés, exprimer des idées avec des mots, apprendre d’autres langues, etc.

Dans le quotidien

On la reconnaît chez celui qui aime :

  • raconter des histoires et aussi en entendre,
  • les jeux de mots, les calembours, les jeux avec le langage,
  • lire pour comprendre,
  • « se parler dans sa tête » afin d’exprimer sa pensée en mots,
  • etc.

pionsQuelques exemples de jeux : Story Cubes, Tamtam Safari, le Cercle des fées, Dobble, Concept, Cyrano…….

Questions réflexives : pour mieux comprendre le principe des intelligences multiples, prenons un jeu linguistique classique : le « Scrabble ». Un joueur qui est peu linguistique, comment pourrait-il éprouver du plaisir à jouer à ce jeu et peut-être gagner ? Peut-il faire preuve majoritairement de stratégies et donc mobiliser son intelligence logico-mathématique ?

 

logicomathL’intelligence logico-mathématique : c’est apprécier pouvoir résoudre des problèmes mathématiques, calculer, prédire, s’appuyer sur des arguments logiques, raisonner, chercher, expérimenter, analyser, émettre des hypothèses, ordonner, faire des modèles, catégoriser, etc.

Dans le quotidien

  • On la reconnaît chez celui qui :
  • veut des raisons à tout,
  • recherche des relations de causes à effets,
  • aime expérimenter de manière logique,
  • préfère la prise de notes linéaire,
  • veut comprendre la signification d’un phénomène,

pionsExemples de jeu : jeux de stratégies, d’échecs

Question réflexive : un joueur qui est peu logico-mathématique pourrait-il avoir plus de facilité en ayant un schéma de synthèse avec les différents coups, stratégies possibles et donc mobiliser ainsi son intelligence visuo-spatiale ?

 

1.2. Les  intelligences d’actions 

Les intelligences intrapersonnelle et interpersonnelle sont le moteur, le carburant et les roues de la voiture qui permettra à l’étudiant de construire efficacement et avec plaisir son parcours d’apprentissage.

 

interpersonnelleL’intelligence interpersonnelle d’une personne lui permet de comprendre la motivation et les comportements humains, d’interagir socialement, de coopérer, d’exercer son autorité, de diriger les autres, de négocier, de faire de la médiation, de manifester de l’empathie et de la sensibilité aux autres, etc.

Dans le quotidien

On la reconnaît chez celui qui :

  • entre facilement en relation avec les autres,
  • aime pratiquer des activités de groupe,
  • communique bien
  • aime jouer le rôle de médiateur (pour résoudre des conflits)

pionsExemples de jeu : Crayon Collaboratif – Parachute collaboratif – Cube Collaboratif et tous les jeux de groupes.

Question réflexive : un participant ayant une intelligence interpersonnelle moins développée pourrait-il avoir du plaisir en se concentrant sur l’action et donc la mobilisation de son intelligence kinesthésique ou en focalisant sur ce que l’activité va lui apporter (intelligence intrapersonnelle) ?

 

Si un jeu de groupe convient assez bien aux joueurs ayant l’intelligence interpersonnelle, ils éprouveront plus de plaisir dans les jeux de coopération.

 

intrapersonnelleL’intelligence intrapersonnelle facilite la conscience de soi. L’intrapersonnel a besoin de se comprendre, d’avoir des objectifs personnels, d’analyser ses propres apprentissages et émotions, de connaître ses forces et ses points d’amélioration. Il se base sur son expérience pour comprendre et expliquer, etc.

Dans le quotidien

On la reconnaît chez celui qui :

  • sait se motiver personnellement,
  • sait utiliser ses ressources et reconnaître ses faiblesses,
  • reconnaît ses valeurs et ses capacités,
  • développe une forte vie intérieure (tenue d’un journal intime par exemple),
  • apprécie la solitude.

pionsExemple de jeu : Caractère

En dehors du fait que les jeux pour une seule personne sont plus rares dans les ludothèques, les joueurs intrapersonnels trouvent moins de réponses à leur problème.  Cependant, les jeux interpersonnels d’introspection peuvent leur convenir. Hélas, ils sont plus rares.

Questions réflexives : l’aspect intrapersonnel du jeu n’est-il pas lié à la démarche réflexive du joueur qui se positionne par rapport à l’impact du jeu sur ses connaissances, compétences, relations sociales, etc. ? Tous les jeux auraient-ils donc la capacité d’intéresser le joueur intrapersonnel si on l’invite à se positionner par rapport à l’intérêt de ce dernier ?

 

1.3. Les intelligences méthodologiques 

Les intelligences méthodologiques dans lesquelles on retrouve les intelligences kinesthésique et visuo-spatiale sont une réponse méthodologique assez facile à donner à des élèves dans le besoin.

 

kinesthésiqueL’intelligence kinesthésique c’est: pratiquer des sports, contrôler ses mouvements, mimer,  jouer la comédie, apprendre par l’exécution concrète, danser, manipuler des objets, fabriquer des choses, réparer les objets et les machines, etc.

Dans le quotidien

On la reconnaît chez celui qui :

  • contrôle bien les mouvements de son corps,
  • aime toucher,
  • apprend mieux en bougeant et en faisant,
  • qui est habile en travaux manuels,
  • etc.

pionsExemples de jeu : Chicky Boom – Talo – Bausack – Coco King – Statues

Les jeux qui demandent une psychomotricité fine sont nombreux. Pour répondre au besoin de bouger beaucoup plus, il faudra se tourner vers les jeux de mimes, les jeux d’extérieur ou les jeux coopératifs tel que le parachute coopératif.

Questions réflexives : un enfant maladroit ou mal dans son corps ne peut-il pas dépasser sa difficulté en travaillant son estime de soi (jeux intrapersonnels), acquérir une précision du mouvement avec jeux de dessins (intelligence visuo-spatiale) ? Un joueur kinesthésique et peu linguistique ne préfèrerait-il pas de découvrir le jeu en jouant directement ?

 

visuo-spatialeL’intelligence visuo-spatiale s’illustre quand on aime créer des œuvres d’art, dessiner, peindre, former des images mentales, faire des cartes, dessiner des graphiques, résoudre des casse-tête, concevoir des structures, utiliser des graphiques, photographier, naviguer, se repérer dans l’espace, dessiner des plans, etc.

Dans le quotidien

On la reconnaît chez celui qui :

  • a un bon sens de l’orientation,
  • aime l’art sous toutes ses formes,
  • réalise volontiers des puzzles,
  • range l’espace,
  • se souvient avec des images,
  • a un bon sens des couleurs,
  • a besoin d’un dessin pour comprendre.

pionsExemples de jeu : Duplik – Pictionnary – Esquissé – Code couleurs – Set – Speed Cup – Castle Logix

Les jeux mobilisant l’intelligence visuo-spatiale sont nombreux. D’un côté on va retrouver les jeux de constructions, sur les couleurs, les formes géométriques pour les enfants. De l’autre, tous les jeux de dessins. De l’analyse d’une image, à la réalisation d’un dessin. On peut reprocher à cette dernière catégorie de se limiter à des illustrations enfantines ou de demander de représenter des objets du quotidien. L’objectif n’est clairement pas d’apprendre à dessiner ou de croquer des objets plus culturels.

Question réflexive : un joueur réfractaire aux jeux de dessin mais ayant une intelligence logico-mathématique ne pourrait-il pas y arriver en décomposant les formes, les éléments à représenter ?

 

1.4. Les  intelligences environnementales

Les intelligences environnementales qui se composent des intelligences musicale et naturaliste sont des intelligences qui pourront être utilisées en premier lieu sur le cadre du travail. Elles peuvent être utilisées méthodologiquement mais de manière plus difficile.

 

musicaleL’intelligence musicale peut être détectée chez quelqu’un qui est sensible au son, au timbre des voix, à la synchronisation et au rythme, qui mémorise des chants et des mélodies,  joue un instrument de musique, crée des effets sonores, reconnaît facilement des chants, des sons et des instruments, etc.

Dans le quotidien

On la reconnaît chez celui qui :

  • fredonne souvent,
  • bat du pied,
  • chante régulièrement et souvent juste,
  • se met à danser au moindre rythme,
  • saisit facilement les accents d’une langue étrangère,
  • est sensible à tous les types de sons non verbaux et aux bruits de la vie de tous les jours,
  • etc.

pionsExemples de jeu : Cocotaki – Rythme & Boulet – Cacophony – Brouhaha – Chabadabada

Les jeux musicaux sont peu nombreux et se limitent souvent à l’imitation de bruits d’animaux. Les adeptes du rythme et de la chanson trouveront peu de réponses à leurs besoins. Les personnes souhaitent développer cette intelligence ne pourront pas aller très loin.

Question réflexive : un adulte ayant une intelligence musicale ne pourrait-il pas trouver la variation de rythme dans une partie ou les petits bruits liés  la manipulation des pièces ?

 

naturalisteL’intelligence naturaliste se retrouve souvent chez les personnes qui ont accumulé des connaissances sur la faune et la flore. Ils apprennent progressivement à distinguer et classifier les animaux, les plantes, les roches, à dresser des animaux et à en prendre soin,  à faire du jardinage, à protéger l’environnement, à observer les phénomènes naturels, etc.

Dans le quotidien

On la reconnaît chez celui qui :

  • s’intéresse au fonctionnement de la nature sous toutes ses formes,
  • est sensible à son environnement naturel,
  • organise des données, dresse des listes, classifie, sélectionne,
  • s’intéresse aux comportements,
  • se passionne pour le fonctionnement du corps humain,
  • a conscience des facteurs sociaux, psychologiques et humains.

pionsExemples de jeu : Safari Cache cache – Flora Color – Pino Sortino – Cacao

 

Nombreux sont les jeux qui projettent les joueurs dans la jungle, mais très peu traitant réellement de la faune et de la flore. Toutefois Bioviva, propose quelques jeux intéressants dans sa collection « Défis nature ».

Questions réflexives : un naturaliste ne pourrait-il pas éprouver du plaisir à jouer à un jeu linguistique ou intrapersonnel uniquement parce qu’il joue dehors ? Ne pourrait-il pas apprécier un jeu d’échecs en catégorisant les actions de l’adversaire et les actions qu’il pourrait mener ?

 

A côté de tous ces jeux, deux jeux vont un peu plus loin et mobilisent plusieurs intelligences :

Jeu : Creativity Jeu : Cranium
Linguistique dire un mot – dire deux mots Dire avec des mots
Logico-mathématique Questionner Remuer les méninges
Visuo-spatiale Dessiner dessiner
Kinesthésique Mimer – modeler – sculpter avec un fil de fer – grimacer Mimer – sculpter
Intrapersonnelle Non mobilisé
Interpersonnelle Principe même du jeu de société
Musicale Chanter – fredonner fredonner
Naturaliste Non mobilisé

 

Si l’on considère que l’intelligence interpersonnelle est mobilisée par le fait que c’est un jeu de groupes, on constate que les intelligences naturaliste et intrapersonnelle ne sont pas activées.

 

  1. Les principes de base

Que faire de cette théorie dans le monde du jeu ? Est-ce juste un nième mode de classement des jeux ? Pour répondre à ces questions, il faut en premier lieu faire une mise au point sur les principes de base de la théorie d’Howard Gardner.

 

Principe 1 : On a tous toutes les intelligences, certaines sont seulement plus développées grâce à son environnement éducatif, social….

Principe 2 : La mobilisation d’une intelligence forte apporte du plaisir. La mobilisation d’une intelligence faible peut apporter du déplaisir.

Principe 3 : Il est possible de développer ses intelligences à l’aide d’activités confrontantes ludiques ou non.

Principe 4 : la théorie des intelligences multiples met en évidence quelles portes sont empruntées par l’individu pour traiter des informations.

Principe 5 : les intelligences linguistiques et logico-mathématiques sont utilisées préférentiellement à l’école et dans la société. Chez un élève en perdition, une voire deux intelligences sont plus faibles.

Principe 6 : chaque intelligence peut se développer par une série d’outils et de techniques : autolouange, théorie du choix, visualmapping, etc.

 

Pourquoi intégrer les intelligences multiples dans sa ludothèque ou dans ses animations ? Pour répondre à cette question, il suffit de lister les objectifs qui peuvent être les nôtres.

  • Nous sommes confrontés à un public fragilisé que nous voulons aider à acquérir la langue et/ou à réussir leur scolarité soit au sein de notre ludothèque soit lors de nos animations face à des groupes scolaires.
  • Nous souhaitons faire de notre ludothèque un lieu de vie et de bien-être où tous les individus se sentent bien.
  • Nous aimerions aider notre public à choisir les jeux de manière plus ludique.
  • Nous réfléchissons à rendre plus efficace l’explication des règles d’un jeu.

 

Dans le cadre de ce dossier, nous proposons d’aborder ces 4 objectifs.

 

Premier objectif : Lieu de vie et de bien-être

La ludothèque est le lieu de jeu par excellence. La plupart du temps n’est-elle pas restée trop proche de sa grande cousine : la bibliothèque ? A savoir un lieu de classement de jeux, de prêts et de présentation de tel ou tel objet, livres ou jeux. Si certaines d’entre-elles offrent la possibilité à ses visiteurs de jouer sur place, sont-elles réellement un lieu d’expression, de rire, d’animation ?

Ne serait-il pas intéressant de redessiner les ludothèques et les bibliothèques ? Aux Etats-Unis, il existe une bibliothèque qui tient compte de la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner. Comment pourrait-on aménager une ludothèque ou un lieu d’animation pour qu’ils tiennent compte de cet outil ?

  • Des tables de jeux pour des groupes
  • Un espace où les intrapersonnels peuvent s’isoler et jouer seul
  • Des coins d’expression : tableaux blancs, flipcharts, coin d’expression artistique, coin de discussion

Pourquoi ne pourrait-on pas jouer à Pictionnary sur un tableau blanc accroché au mur en étant assis dans des fauteuils ? Pourquoi ne pourrait-on faire partie du public de jouteurs d’improvisation ?

S’il est évident que nous sommes tributaires des espaces mis à notre disposition, des budgets limités et de l’idée que nous n’avons pas la place chez nous, que cela entraînerait trop de bruit pour les autres participants, on peut nuancer ces freins :

  • les animations sont déjà existantes et donc le bruit lui aussi.
  • Il n’y a aucun mur de libre pour mettre un tableau. Un flipchart peut se placer n’importe où et se range aisément.
  • L’espace est tellement restreint que nous ne pouvons pas aider les intrapersonnels à s’isoler. Proposer à ce public des bouchons à leurs oreilles et disposer autrement une étagère de rangement peut créer un coin intimiste.
  • D’autres espaces sont parfois utilisables : un couloir, une cour extérieure, etc.

A côté des espaces à aménager, il y a une atmosphère à créer pour présenter les intelligences multiples. Derrière cet outil, il y a souvent des personnages qui représentent chacune des intelligences tels que les Multibrios[1] (Mot à mot, Calculine, Agilo, Clé de Sol, Boute-en-train, Brin de Nature, Cœur en Soi et Imagio) des boules d’énergies comme les Octofuns[2] (Melofin, Matifun, Alphafun, 3Dfun, etc) et souvent une belle histoire à raconter aux enfants et aux adolescents.

Dans un de ces ouvrages Bruno Hourst[3] (2006) a inventé une histoire particulièrement belle pour conter cette théorie aux enfants.

A la naissance d’un enfant, une bonne fée viendrait autour du berceau donner toutes les intelligences : aimer la nature, faire du sport, jouer avec les mots, etc. Pendant toute son enfance, toutes les personnes qui l’aiment l’aident à apprendre, à utiliser et à faire grandir ses intelligences.  Chaque geste, cadeau, mot, instant passé à jouer est un acte d’amour qui l’aide à grandir.

Cette histoire est très belle car elle permet assez facilement de créer un décor féérique au sein de la ludothèque.

Pour un public plus âgé, pour des parents, un autre récit[4] est possible. Lors de notre naissance, nos parents nous fournissent un trousseau de 8 clés qu’ils essayeront de nous faire utiliser correctement. Dans ce trousseau, nous retrouvons la clé musicale, la clé de l’environnement, la clé logique, la clé sportive, la clé de l’introspection, la clé du langage, la clé de l’amitié et la clé de l’espace. En grandissant, nous allons prendre soin de certaines plus que d’autres. Celles dont nous aurons pris soin ouvriront mieux les portes parce qu’elles auront été davantage utilisées. Les autres, n’étant pas régulièrement employées, rouilleront et auront beaucoup plus de difficulté à ouvrir leur porte spécifique.  Certains jeux présents dans cette ludothèque permettent de veiller à l’utilisation des clés et des serrures.

Si expliquer le principe de la théorie et la création d’un décor au sein du lieu est un début, il est nécessaire aussi d’identifier les jeux. La plupart du temps la classification utilisée au sein des ludothèques se limite à un outil de gestion et non de communication par rapport au public et trop peu une aide pour les visiteurs. Une ludo « intelligences multiples » ne serait rien si le public n’avait pas la possibilité d’identifier quel jeu permettrait de développer  quelle intelligence.  Cela permettrait d’identifier plus facilement le type de jeu qui pourrait lui apporter du plaisir ou répondre à ses objectifs de développement personnel. A cette fin, il serait intéressant de coller sur chaque boite un autocollant correspondant à chaque intelligence. Pourquoi ne pas utiliser les « Octofuns » ?

 

Deuxième objectif : Expliquer une règle autrement

Faire appel aux intelligences multiples dans sa pratique de ludothécaire et d’animateur de jeu c’est aussi expliquer une règle autrement.

La plupart du temps le principe d’un jeu ou la règle lors d’une animation se fait toujours oralement. Parfois, le propos s’appuiera sur une démonstration se basant sur l’utilisation des différents éléments du jeu : pions, cartes, plate-forme etc.

Le joueur quant à lui se lancera dans la lecture de la notice pour découvrir le jeu. Dans les deux cas, le mode utilisé s’appuie sur l’idée que les joueurs possèdent une intelligence linguistique suffisante pour comprendre et intégrer les différents éléments du jeu. On présuppose aussi qu’ils ont la capacité de rester concentrés un minimum de temps et qu’ils sont capables de mémoriser l’ensemble des éléments.

Le but de ce propos est de vous faire comprendre qu’expliquer un jeu ne se fait pas uniquement oralement, qu’un support linguistique tel qu’une notice n’est pas adapté à une partie du public.

Aujourd’hui, il est avéré

  • que les dyslexiques ont besoin d’un écrit plus grand et espacé
  • que le temps de concentration d’un adulte sans trouble de la concentration est de 12 minutes. Combien de temps pensez-vous qu’un enfant puisse rester concentré à écouter une explication ?
  • Que l’on n’est capable de retenir que 7 éléments qui n’ont pas de liens évidents entre eux.
  • 90% des individus ont soit l’intelligence visuo-spatiale soit kinesthésique comme dominante.

A l’heure où les écoles adaptent progressivement leur enseignement à ces principes, que fait-on, nous, amateur, spécialiste de l’animation du jeu pour tenir compte des difficultés de notre public ?

Utiliser les intelligences multiples dans l’animation ludique consisterait donc à tenir compte de ces principes en appuyant ses propos avec des schémas de synthèse (mandala, carte mentale, sketchnoting….) qui serviront en même temps d’aide-mémoire.

 

Troisième objectif : acquérir la langue

De plus en plus de ludothèques sont amenées à réaliser des animations pour des groupes scolaires. La plupart du temps, l’objectif est de développer le vocabulaire des enfants et adolescents.

En parallèle, quelle que soit la raison, un public de plus en plus important a besoin d’étendre au plus vite sa maîtrise de la langue et augmenter son vocabulaire. En quoi les jeux et les intelligences multiples pourraient aider à atteindre cet objectif ?

Utiliser cette théorie pour répondre à cette problématique c’est considérer qu’un individu qui souhaite étendre son vocabulaire a sans doute une intelligence linguistique plus faible.  De ce fait, toute approche d’apprentissage ne se basant que sur la mobilisation de l’intelligence linguistique et non de ses intelligences dominantes ne l’aidera que trop peu.

Si l’on peut considérer qu’il est possible d’apprendre une langue avec n’importe quel type de jeux en prenant connaissance des règles, en essayant de les comprendre ou de les expliquer, en négociant avec les autres joueurs, nous avons décidé de limiter notre champ d’investigations en nous limitant aux jeux dits linguistiques.

Afin de définir une action, nous avons dans un premier temps catégorisé les jeux linguistiques existant selon les intelligences multiples. Notre analyse s’est portée sur 59 jeux et a mis en évidence que les jeux mobilisant les intelligences musicales et naturalistes étaient rares. Au niveau de l’intelligence visuo-spatiale on retrouve quelques jeux tels que Duplik et Esquissé. Les jeux kinesthésiques ne sont pas plus présents. On retrouve des jeux liés à l’impro (Math d’Impro) et aux mimes (Mimtoo, Statues…). La plupart des jeux mobilisent donc les intelligences linguistiques et logico-mathématiques, ce qui ne convient pas nécessairement à un public qui éprouve des difficultés au niveau de l’apprentissage « scolaire ».

Au niveau des intelligences d’action, les jeux favorisent les interpersonnels et très peu les intrapersonnels qui ont besoin de jouer seuls.

A côté de cette analyse il était intéressant de se demander quels sont les jeux qui permettent de développer, étendre son vocabulaire ? Pour répondre à cette question nous allons nous appuyer sur les habiletés langagières définies dans le modèle ESAR. Nous avons sélectionné 4 catégories qui nous semblent pertinentes par rapport à l’objet de notre étude (Fillion, 2015 : 186-208) [5].

« E203 Appellation verbale

Capacité permettant d’associer et de nommer les objets, les personnages, les événements, les lieux, etc., ou leur représentation, en utilisant les expressions verbales qui les définissent ou les identifient, pour les reproduire ou les évoquer. Cette capacité permet d’apprendre de nouveaux mots.

Ex : jeux pour apprendre du vocabulaire

E211 Mémoire sémantique

Capacité permettant de reconnaître, de se rappeler et de faire appel au sens, à la signification ou à la définition des mots, des phrases ou des énoncés, etc. pour les reproduire ou les évoquer. Cette capacité permet de comprendre la signification des mots et des phrases, appris antérieurement.

Ex : jeu du dictionnnaire, Times’up

E212  Mémoire lexicale

Capacité de reconnaître, de se rappeler et de faire appel au vocabulaire, au lexique ou à l’ensemble des mots relatifs à un thème pour le reproduire ou les évoquer. Cette capacité permet de comprendre le principe des classes, catégories et taxonomies, etc.

Ex : Duplik, Tic tac Boom – Times-Up, Taboo, Brainstorm

E406 Réflexion sur le langage écrit

Capacité permettant de raisonner et d’intervenir de manière consciente et réfléchir sur la langue écrite pour la décrire, l’étudier, l’analyser ainsi que pour expliquer sa signification, ses règles et son utilisation dans le contexte de la communication écrite ou encore se servir de la langue écrite ou des mots pour créer de l’absurde ou de l’insolite pour faire rire. »

Ex : jeu du dictionnaire, Kemozako

Comme nous pouvons le voir, le nombre de jeu s’est réduit et d’autant plus, si l’on tient compte de la tranche d’âge.

Pour terminer notre démarche réflexive, il est bon de se demander si les items, les mots auxquels les joueurs sont confrontés vont réellement leur permettre de mieux s’en sortir dans leur quotidien ou dans leur vie scolaire.  Pour répondre à cette question, il serait nécessaire de confronter les items des jeux à une liste officielle des mots les plus fréquents de la langue française.

 

En conclusion, nous retiendrons que non seulement les jeux mobilisant les intelligences autres que les intelligences linguistiques et logico-mathématiques sont rares mais que les items proposés correspondent fort peu aux besoins réels des apprenants dans leur quotidien.

Une ludothèque, un animateur, un enseignant ou un parent qui aurait le souhait d’aider un ou plusieurs jeunes à sortir la tête de l’eau au niveau de la compréhension des textes devrait donc non seulement utiliser des jeux correspondants aux 6 autres intelligences mais adapter les items à la liste des mots officiels. Une dernière autre possibilité est de créer de nouveaux jeux.

Au niveau de la pratique, aucune étude ne semble avoir été faite sur l’utilisation du jeu pour développer le vocabulaire.

 

Quatrième objectif : Proposer des jeux pour développer ses intelligences multiples.

Certains parents ou joueurs souhaiteront peut-être utiliser le jeu comme outil de développement personnel ou de compétences.

De nombreux jeux sont directement utilisables pour développer des compétences scolaires (le jeu Bescherelle, les jeux de cartes Tamtam, etc.) d’autres favorisent le développement affectif, relationnel, cognitif ainsi que l’accès à la culture.

Prenons la situation d’un enfant qui a un déficit de vocabulaire. Plutôt que de recourir à des méthodes scolaires classiques, il décide de recourir à des jeux de société. Réalisons une petite comparaison :

 

Méthodes scolaires classiques Utilisation du jeu
A faire seulPorte empruntée par l’exercice : linguistique

 

 

 

 

 

Seul ou en groupe (intrapersonnel ou interpersonnel)Porte empruntée par le jeu :kinesthésique (Times’up)

Visuo-spatiale (Pictionnary)

Musicale (jeu du Simon, rythme and boulet)

Naturaliste (Défis Nature le Grand jeu de Bioviva)

Possibilité de coopération (Aya, Pandémie, Mysterium)

 

A l’inverse, plusieurs études ont été réalisées sur l’utilisation du jeu d’échecs dans le cadre scolaire.

A côté des compétences scolaires, les jeux peuvent aussi aider au développement des intelligences. Plusieurs études européennes montrent qu’un enfant  qui joue aux échecs pendant un an, à raison d’une heure par semaine, s’améliore en mathématiques et dans plusieurs autres disciplines[6].

Ces études ont amené le Parlement européen[7] à rédiger la déclaration du 15 mars 2012 sur l’introduction du programme «Le jeu d’échecs à l’école» dans les systèmes éducatifs de l’Union.

Si l’on considère que le jeu d’échecs permet de développer la logique chez les joueurs et donc l’intelligence logico-mathématique, que permettent les autres jeux ?

Voici une liste de quelques jeux classés selon les intelligences multiples.

Linguistique Times’up Kids – Kaleidos Junior – Mystères – Imagidés – Comment j’ai adopté un gnou – Batamo – Tap’syllabes et Chantes sons
Logico-mathématique Brainbox Mes premières maths – Bataplus – Rallye
Visuo-spatiale Code couleurs – Set – Pictomania – Esquissé – Duplik
Kinesthésique Bamboleo – Statues
Intrapersonnelle Lego Serious Play
Interpersonnelle Fantômes piégés – Parachute – Crayon collaboratif – Poisson coopératif
Musicale Zik – Tralalaa – N’oubliez pas les paroles – Rythmes and boulet – Crazy Dancing – Timelines Musique/Cinéma – Shabadabada – Simon
Naturaliste Flora Color – Safari Cache cache – Pino Sortino – Symbols – Cardlines animaux – Rapidofruit – Brainbox Animaux – Drôles de déchets

 

Conclusion :

Si les intelligences multiples devaient être utilisées comme un nième mode de classement des jeux, le travail serait sans doute peu intéressant.

A l’inverse, utiliser cet outil de manières efficace c’est

  • définir une identité propre aux ludothèques par rapport à leur grande sœur : les bibliothèques.
  • Créer une ambiance féérique et ludique par le décor, par l’aménagement des lieux de jeux.
  • communiquer autrement
  • accompagner des enfants ou des groupes scolaires autrement

 

Et vous, comment allez-vous utiliser cet outil ?

 

 

[1] http://multibrios.com/, consulté le 15 novembre 2015.

[2] https://octofundotorg.wordpress.com/, consulté le 15 novembre 2015.

[3] HOURST B., A l’école des intelligences multiples, Hachette Education, Paris, 2006.

[4] KEYMEULEN R., Vaincre ses difficultés scolaires grâce aux intelligences multiples, Bruxelles, 2013.

[5] FILION R., Le système ESAR : pour analyser, classifier des jeux et aménager des espaces, A la page, Québec, 2015.

[6] http://www.rtbf.be/info/regions/detail_les-echecs-a-l-ecole-peuvent-lutter-contre-l-echec-scolaire?id=8235587, consulté le 15 novembre 2015.

[7] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2012-0097+0+DOC+XML+V0//FR, consulté le 15 novembre 2015.